MADAME SUZIE

Paroles Jeanne Cherhal
Musique Jeanne Cherhal
Interprète Jeanne Cherhal
Année 2001

Première chanson "engagée" de Cherhal : quinze quatrains (avec uniquement des rimes en "i", comme "fille", et en "on", comme "garçon") et des effets de voix et de piano pour dénoncer l'homophobie ordinaire.

LA BATAILLE DES MŒURS
(Les Collections de L'Histoire n°14 ; Janine Massuz-Lavau ; janvier-mars 2002)

Les règles édictées par l'Église catholique sur le comportement sexuel ont fait loi jusqu'au milieu de notre siècle. La droite les a défendues avec vigueur jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'extrême droite en fait toujours son credo.

La droite a généralement tendance à conforter l'ordre des choses, tandis que la gauche le critique et entreprend de le transformer. Ainsi pour la sexualité. Longtemps, la droite a défendu le modèle ancestral défini par l'Église catholique, qui n'autorise les relations sexuelles qu'au sein du mariage et seulement dans le but de procréer. Ces exigences soumettent donc la sexualité à trois contraintes : celle de la procréation, puisque la contraception et l'avortement sont interdits ; celle de l'âge, dans la mesure où l'on n'admet pas que les jeunes non mariés (surtout les filles) puissent avoir une vie sexuelle ; enfin, celle de l'hétérosexualité, l'homosexualité étant jugée par l'Église catholique « intrinsèquement désordonnée ».

Jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la droite s'applique à enrichir l'arsenal de lois dont disposent les pouvoirs publics pour obtenir que la population respecte ce schéma et pour l'obliger à rester soumise à la contrainte de la procréation. Il est vrai qu'au début du siècle des associations néo-malthusiennes, comme la Ligue française pour la régénération humaine, furent fondées pour diffuser des informations sur les méthodes contraceptives dans les milieux populaires, car ceux-ci devaient éviter de fournir aux « tartuffes bourgeois » leurs réserves « de chair à plaisir, de chair à travail et de chair à canon ».

Alarmée par ces visées, soucieuse de disposer d'une armée nombreuse en raison des menaces de guerre, la droite, nataliste de longue date, dépose au Sénat une proposition de loi, discutée le 31 janvier 1913, qui vise à « combattre la dépopulation par des mesures propres à relever la natalité ».

La guerre interrompt les débats ; ils reprendront dès 1919 et aboutiront au vote de la loi de 1920 qui interdit l'avortement ainsi que la contraception. Grand succès pour la Chambre « bleu horizon » issue de la victoire du Bloc national aux élections de 1919. C'est le triomphe d'une conception de la sexualité indissociable de la reproduction, une conception de la femme soumise avant tout aux exigences natalistes de la communauté nationale.

Sous le régime de Vichy, le dispositif est encore renforcé. Aider une femme à avorter devient un crime contre l'État et même contre la « race », passible des peines les plus fortes ; une blanchisseuse, Marie-Louise Giraud, est condamnée à mort et exécutée le 30 juillet 1943. C'est la dernière femme à subir la peine de mort en France.

La volonté du gouvernement de réduire la sexualité à sa fonction procréatrice apparaît également dans la nouvelle législation concernant l'homosexualité, qui ne faisait jusqu'alors en France l'objet d'aucune répression légale (1). Le 6 août 1942, le maréchal Pétain signe une ordonnance introduisant dans le Code pénal un paragraphe qui rend passible « d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 2 000 francs à 6 000 francs quiconque aura [...] commis un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de vingt et un ans ». La majorité homosexuelle est désormais fixée à vingt et un ans, la majorité hétérosexuelle restant inchangée : quinze ans.

C'est à partir des années 1960 que sont votées les lois qui vont peu à peu, après de vifs affrontements, libérer l'étau qui enserrait la sexualité des citoyens (2). Sur la procréation, il faut retenir les lois de 1967 - autorisant le recours aux moyens de contraception « modernes » -, 1975 - autorisant, pour une période probatoire, l'avortement - et 1979 - légalisant, définitivement, l'interruption volontaire de grossesse. Trois lois votées sous des gouvernements de droite mais grâce à l'apport de la quasi-totalité des voix de gauche. En 1979, seuls 70 des 290 députés de la majorité de droite votent le texte gouvernemental.

Un « objet de volupté stérile »

Les parlementaires de droite et du centre, hostiles aux changements de législation, développent alors quatre arguments :

1) Un argument démographique : la population française vieillit de plus en plus, alors que les pays d'Afrique du Nord connaissent une explosion menaçante pour nous.

2) Un argument médical : la pilule favoriserait le développement du cancer et des accidents circulatoires ; elle irait même jusqu'à déféminiser la femme, donc à renverser un « ordre naturel » auquel on ne doit pas toucher. Un sénateur républicain indépendant, M. Henriet, déclare en décembre 1967 : « C'est l'inhibition complète du cycle féminin. C'est une dénaturation de la femme. [...] La nature se vengera. En effet, pas de cycle, pas de femme, pas de libido. Finies ces fantaisies, finies ces chatteries qui font le charme féminin. Mais par contre des seins douloureux à ne pas toucher, agrémentés parfois de troubles psychiques. Et la première vengeance de la nature est que le partenaire s'éloigne. [...] Pour moi, sans l'approuver, je le comprends. » Le stérilet et les avortements répétés sont jugés tout aussi dangereux pour la santé des femmes.

3) Un argument moral : on craint que la pilule ne favorise « davantage les amours illicites » et n'ébranle « les assises de la famille ». En 1974, un député UDR déclare que la légalisation de l'avortement contribuera à « réveiller la bête qui sommeille dans chaque individu ». On craint que les femmes prennent la pilule à l'insu de leur mari, devenant, comme le prophétise Jean Coumaros (UD-Ve) à l'Assemblée, un « objet de volupté stérile », les hommes perdant alors « la fière conscience de leur virilité féconde ».

4) Un argument religieux enfin, qui renvoie au respect absolu de la vie dès l'apparition de l'embryon. Autoriser l'avortement, ce sera la porte ouverte à toutes les outrances : on tuera les enfants, les personnes âgées, les handicapés, les bouches inutiles, bref tous les indésirables.

Pourtant, c'est au sein même de la droite que quelques personnalités courageuses et minoritaires telles que Simone Veil et Lucien Neuwirth se battent pour faire évoluer les mœurs : d'abord, il faut que cesse le drame de l'avortement clandestin, qui fait chaque année d'innombrables victimes ; ensuite, la loi est quotidiennement et publiquement bafouée notamment par des associations comme le Mouvement pour la libération de l'avortement et de la contraception - MLAC -, qui pratique des avortements au vu et au su des autorités, ce qui crée une situation intolérable. La gauche, on le sait, se prononce à l'unanimité pour la double légalisation proposée.

La « république des sexocrates »

Après les révoltes étudiantes de Mai-68, les années 1970 sont aussi celles de la lutte pour la reconnaissance de la sexualité des jeunes. Après les affaires Carpentier et Mercier (3), le ministère de l'Éducation nationale annonce que l'information et l'éducation sexuelles seront assurées dans les établissements secondaires. En outre, au terme de bien des tergiversations et après que la droite eut réussi à vider le projet de la plus grande part de son contenu, la création d'un Conseil supérieur de l'information sexuelle et de la régulation des naissances, destiné à la jeunesse, est votée à la fin de 1972. La modestie de son propos n'empêche pas la droite dure de l'attaquer en annonçant qu'on est en train de créer une « république des sexocrates » (4).

De fait, à cette époque, la sexualité des jeunes est vue de deux manières antagonistes selon qu'on se situe à droite ou à gauche. La partie conservatrice du pays considère le jeune homme ou la jeune fille comme un être qui doit être tenu le plus longtemps possible à l'écart du péché de chair et qui, dans ce but, doit - vu la malléabilité propre à son âge - être mis à l'abri de tout discours sur la sexualité, car la moindre information peut devenir incitation. Et, lorsque aborder ce type de sujet devient inévitable, on se méfie des interlocuteurs : c'est à la famille de tenir le discours qui s'impose, à savoir celui des sentiments, de la responsabilité, de la maîtrise de soi, du respect d'autrui et de la primauté de l'affectivité. La règle veut qu'entre la sexualité et la jeunesse la plus grande distance soit maintenue le plus longtemps possible.

Dans la partie progressiste de la société, on part d'un constat : les jeunes étant confrontés de plus en plus tôt à la question sexuelle, il importe pour eux de ne pas l'aborder dans l'ignorance, d'autant que leur vision peut être faussée par la publicité et la multiplication des produits pornographiques.

Le dernier combat est celui concernant l'homosexualité. C'est en 1982 seulement, après plusieurs années de débats, qu'une majorité a pu être trouvée pour abolir l'alinéa du Code pénal qui établissait la majorité homosexuelle à dix-huit ans (5). La droite se réfère alors à une conception « normale » de la sexualité pour condamner l'homosexualité, pour rejeter des pratiques en désaccord « avec l'anatomie et la physiologie ».

L'argumentation de cette droite repose essentiellement sur le fait qu'une autorisation pourrait être perçue comme une incitation et, surtout, elle met en avant la protection des mineurs, spécialement des jeunes handicapés qui, dans les établissements spéciaux, risqueraient d'être séduits par des adultes indélicats. On craint aussi que les jeunes soient détournés de leur « penchant naturel » (l'hétérosexualité), à un âge où l'on n'est pas encore complètement mature, par des adultes qui réussiraient à leur donner de mauvaises habitudes et à infléchir le cours de leur sexualité.

Finalement, au début des années 1980, la droite doit prendre acte que le modèle qu'elle défendait âprement a été abandonné par une grande partie de la population. Accepte-t-elle pleinement sa défaite ? En la personne de Jacques Chirac, la droite classique a tenté de revenir sur les acquis des décennies précédentes. En octobre 1984, il déclarait en effet que la France devait rendre le recours à l'avortement plus difficile : « La complète banalisation de l'avortement a contribué à créer une situation inacceptable. [...] Alors, courageusement, il faudra restreindre les facilités qui ont été données pour limiter les naissances. » Ce faisant, il reprenait les arguments démographiques utilisés à l'envi, quelques années plus tôt, par Michel Debré.

Mais Jacques Chirac ne tint pas longtemps cette position. Lors d'une émission télévisée, le 5 novembre 1984, il apparut très en retrait par rapport à ses premières déclarations. Sans doute fut-il sensible au sondage réalisé par l'IFOP et publié trois jours auparavant dans Le Journal du dimanche, selon lequel 62 % des Français de quinze ans et plus se déclaraient favorables « au maintien de la loi actuelle sur l'interruption volontaire de grossesse », 26 % seulement y étant opposés et 12 % sans opinion.

Désormais, la droite classique n'intervient plus guère sur ces sujets. C'est l'extrême droite qui prend le relais. Dès les années 1970, et surtout à partir de 1984, Jean-Marie Le Pen multiplie les déclarations contre l'IVG, contre ce qu'on appelle au Front national la « loi-génocide » de Simone Veil, dite encore « loi du génocide anti-français ». La critique est tout aussi nette en ce qui concerne la sexualité des jeunes.

« La distinction du bien et du mal »

Dans un « discours à la jeunesse », en 1984, Jean-Marie Le Pen déclare : « L'abaissement de l'âge des rapports sexuels a des répercussions dramatiques non seulement sur la qualité de l'amour , [...] mais aussi sur le développement intellectuel. » Et il ajoute que la chance de la France et d'autres pays européens est d'être située dans un climat tempéré où « la sexualité retardée expliquait le développement exceptionnel de nos civilisations ».

En juillet 1982, après le vote de la nouvelle loi abaissant à quinze ans l'âge de la majorité homosexuelle, on pouvait déjà lire dans Présent : « Le garde des Sceaux se vante d'abolir une discrimination. Ce qu'il abolit peu à peu, c'est la distinction du bien et du mal. » Deux ans plus tard, en février 1984, lors de son passage à « L'heure de vérité », Jean-Marie Le Pen déclarait : « L'homosexualité n'est pas un délit, mais elle constitue une anomalie biologique et sociale. »

Dans la période récente, des affrontements se sont produits à diverses reprises entre la droite et la gauche sur des questions concernant la sexualité.

Ce fut le cas lors de la discussion du PACS (Pacte civil de solidarité) au Parlement. Le texte l'instaurant est adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 9 décembre 1998 : une seule députée de droite le vote, Roselyne Bachelot. La loi sera promulguée le 15 novembre 1999, permettant notamment aux homosexuels d'officialiser leur couple sans obtenir pour autant les avantages procurés par le mariage. Les parlementaires de droite ont, tout au long des débats, plaidé que le PACS constituait une mise en cause de la famille et du mariage ainsi qu'une légitimation de la répudiation.

Il faut savoir qu'encore en 1997 48 % seulement des Français de droite considéraient l'homosexualité « comme une manière acceptable de vivre sa sexualité » contre 61 % des Français de gauche (sondage SOFRES).

Le clivage séparant droite et gauche est également apparu lorsque, le 14 décembre 1999, la pilule du lendemain a été autorisée dans les établissements scolaires sous le contrôle des infirmières par la ministre socialiste Ségolène Royal. Les associations familiales de droite ont alors déposé un recours au Conseil d'État, qui a annulé les dispositions prévues. Il a fallu un vote du Parlement pour les rétablir.

Puis, quand la nouvelle loi sur l'IVG et la contraception est venue devant l'Assemblée nationale, en première lecture, les 29 et 30 novembre 2000, un débat houleux a mis aux prises la gauche, qui proposait notamment un allongement du délai légal pour l'IVG (de 10 à 12 semaines) ainsi que la suppression de l'autorisation parentale pour les mineures, et la droite, qui s'y est vigoureusement opposée, craignant, pêle-mêle, l'eugénisme, l'irresponsabilité des femmes (qui ne devraient donc pas décider seules mais obtenir l'autorisation d'une commission d'experts), la fuite en avant (accepter les 12 semaines c'est risquer dans l'avenir de passer à 14, 16 ou 22 semaines), la mise en cause de la famille (la droite exige que, lorsque des mineures veulent obtenir une IVG, les parents soient systématiquement informés), et avançant aussi diverses considérations médicales et techniques. La loi a finalement été promulguée le 4 juillet 2001.

En définitive, le modèle ancestral est encore relativement vivace à droite. Suffisamment en tout cas pour que l'on puisse dire que les lois sont loin d'avoir bouleversé de fond en comble les attitudes profondes.

(1) Cf. F. Tamagne, « Naissance du troisième sexe », L'Histoire , n° 221, pp. 48-55.

(2) A la Libération, le texte faisant de l'avortement un crime contre l'État est abrogé, mais l'ordonnance qui établit la majorité homosexuelle à vingt et un ans reste en vigueur.

(3) Ces deux affaires naissent de la rédaction et de la diffusion en 1971 par le docteur Carpentier d'un tract intitulé « Apprenons à faire l'amour » et destiné à la jeunesse. Le médecin est suspendu pendant un an. En 1972, un professeur de philosophie, à Belfort, Mme Mercier, accepte que le tract soit lu en classe. Elle est inculpée d'outrage aux bonnes mœurs, ce qui déclenche l'agitation lycéenne dans la ville.

(4) Aspects de la France, 21 décembre 1972.

(5) En 1974, la majorité légale passe à dix-huit ans, abaissant du même coup l'âge de la majorité homosexuelle resté inchangé depuis 1942.

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