COLONEL, J'AI 16 ANS

Paroles Jeanne Cherhal
Musique Jeanne Cherhal
Interprète Jeanne Cherhal
Année 2011 (inédit)

Postée sur internet, une réaction féministe aussi épidermique que cinglante à Aurélie, un tube devenu un emblème des anti-avortement. L'humour n'en garde pas moins ses droits : l'auteur de la chanson visée se produisant sous le pseudonyme de "Colonel Reyel", la chanson est signée "Amiral Cherhal"...

BOBIGNY, 1972 : LE PROCÈS DE L'AVORTEMENT 
(L'Histoire n°501 ; Bibia Pavard ; novembre 2022)

Il y a cinquante ans se sont tenus à Bobigny les procès de la jeune Marie-Claire Chevalier, de sa mère et de celles qui les ont aidées. Leur avocate Gisèle Halimi en a fait une tribune pour la liberté d'avorter. Ses papiers viennent d'être versés aux Archives nationales et permettent de mesurer l'ampleur des soutiens reçus par les accusées.

En octobre et novembre 1972, au tribunal de Bobigny, se joue le destin de cinq femmes, mais aussi celui de la loi qui pénalise l'avortement depuis 1920. Les procès de Bobigny révèlent au grand public le drame vécu par Marie-Claire Chevalier, qui, enceinte à 16 ans à la suite d'un viol, a mis fin clandestinement à sa grossesse, aidée par sa mère et ses collègues. Ils offrent à celles et ceux qui se battent pour le droit d'avorter, dans un cadre sûr et médicalisé, une formidable caisse de résonance.

Agir clandestinement

« Je savais que je courais beaucoup de risques mais Marie-Claire avait décidé qu'elle ne voulait pas de cet enfant. [...] J'ai vécu cela moi aussi, je le vis encore, les humiliations, les affronts. Mère célibataire, montrée du doigt. Alors en aucun cas j'aurais permis que ma fille subisse le calvaire que j'ai subi. » Le 8 novembre 1972 Michèle Chevalier, 38 ans, employée à la RATP, mère de trois filles, comparaît devant la 2e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny pour complicité d'avortement. L'année précédente, elle a aidé son aînée à mettre fin à une grossesse non désirée. Sur le banc des accusés se trouvent trois autres femmes, Micheline Bambuck, secrétaire de profession, qui a pratiqué l'avortement, et deux collègues de Michèle Chevalier, Lucette Duboucheix et Renée Sausset, qui ont servi d'intermédiaires. Mineure, Marie-Claire a, quant à elle, comparu à huis clos devant le tribunal pour enfants de Bobigny le 11 octobre.

Ces femmes, à la bonne conduite et réputation selon l'enquête de moralité, se trouvent devant la justice car elles ont enfreint ce que l'on appelle couramment « la loi de 1920 » et plus précisément l'article 317 du Code pénal qui punit « la femme qui se sera procuré l'avortement à elle-même ou aura tenté de se le procurer » et « quiconque [...] aura procuré ou tenté de procurer l'avortement d'une femme enceinte ou supposée enceinte ». Seuls sont autorisés les avortements thérapeutiques si la vie de la mère est menacée.

Elles ont été dénoncées par « une source sûre », dit le rapport de police. Les accusées savent que le délateur n'est autre que Daniel P., le camarade de Marie-Claire avec qui elle avait une relation, qui l'a « forcée à faire l'amour avec lui », selon les mots de la jeune fille au procès. Même s'il est responsable de la grossesse et coupable de viol, il n'a pas participé à l'avortement et n'est donc, lui, pas inquiété.

Cette affaire révèle les situations désespérées dans lesquelles se trouvent les femmes, tout particulièrement celles des classes populaires, qui ne peuvent ou ne veulent pas poursuivre une grossesse non désirée. Les minutes du procès détaillent le chemin douloureux qui fut celui de Marie-Claire. D'abord, un gynécologue qui demande 4 500 francs pour mettre fin à la grossesse, c'est une somme exorbitante pour sa mère, qui gagne 2 300 francs par mois, primes et allocations comprises, et élève seule ses trois filles, de 16, 15 et 14 ans, dans un logement social de la RATP à Neuilly-Plaisance (93). Le bouche-à-oreille la mène à une femme qui a déjà pratiqué des avortements sur elle-même et quelques autres femmes. Pour 1 200 francs, elle pose une sonde. Ce qui est long, et aléatoire. Dans le cas de Marie-Claire, il a fallu s'y reprendre à cinq fois en quinze jours. Puis viennent l'hémorragie, la douleur, la fièvre, la peur, et le curetage en urgence dans une clinique parisienne dont la facture est réglée avec un chèque sans provision.

Les faits illustrent le vécu de l'avortement clandestin en ce début des années 1970 pour qui n'a pas les moyens de partir à l'étranger ou ne connaît pas de médecin avorteur. « Cet avortement clandestin, il n'est ni plus ni moins dramatique que 800 000 en France sans doute », dira Gisèle Halimi dans sa plaidoirie.

Et, pourtant, les procès de Marie-Claire, de sa mère et de ses « complices » quittent la rubrique des faits divers pour devenir un événement historique : la dénonciation politique de la loi de 1920. Ils s'inscrivent dans un moment de mobilisation féministe pour la liberté de l'avortement dont leur avocate Gisèle Halimi est devenue l'une des figures de premier plan.

Une longue bataille

« Est-ce que je peux ajouter un mot ? C'est de toutes les femmes qu'il s'agit, c'est de cette loi dont nous ne voulons plus qu'il s'agit. » Ces mots de Lucette Duboucheix résonnent avec force dans le tribunal. Elle avait d'abord conseillé à sa collègue et amie, qui s'était ouverte à elle, d'élever l'enfant. Et puis elle avait réfléchi : « La faire avorter, ce n'est pas une bonne action, mais garder le bébé, ce n'est pas beaucoup mieux » ; la gravité de la situation avait pesé plus lourd que l'interdit commandé par sa foi.

En 1972, cela fait déjà plus de deux ans que le débat sur l'avortement a été lancé en France. Certes, la loi Neuwirth, en 1967, après dix longues années de lobbying du Mouvement français pour le planning familial, légalise la vente des contraceptifs, mais elle demeure très restrictive. Les mineures (moins de 21 ans) doivent avoir une autorisation parentale pour obtenir la pilule en pharmacie, qui n'est pas remboursée par la Sécurité sociale. Les décrets d'application ont en outre beaucoup tardé à être publiés - celui sur la délivrance de stérilet ne sera pris que le 7 mars 1972. Dans ce contexte, l'Association nationale pour l'étude de l'avortement (Anea) voit le jour en 1969, à l'initiative d'éminents juristes ou médecins, afin de promouvoir l'élargissement de l'avortement thérapeutique.

Ils s'élèvent contre la permanence des avortements qui mettent en danger les femmes, « des centaines de morts chaque année, des dizaines de milliers de femmes stériles, sans compter les infirmes et les mutilées. Tel est le bilan de l'avortement clandestin en France » (1).

En juillet 1970, contre toute attente, le Dr Peyret, député gaulliste de la Vienne, médecin de campagne et catholique pratiquant, suit l'argumentaire de l'Anea et dépose une proposition de loi en faveur de l'élargissement de l'avortement thérapeutique, poussé, explique-t-il, par le remords d'avoir laissé mourir une de ses patientes d'un avortement clandestin qu'il n'avait pas voulu faire.

Ce mouvement en faveur de la réforme de la loi rencontre immédiatement une vive opposition de la part d'associations d'inspiration catholique qui défendent le statu quo. Laissez-les vivre est ainsi créée en novembre 1970 avec pour mission spécifique de promouvoir la valeur de la vie humaine dès la conception. Une guerre entre experts, en majorité des hommes, qui se situe tant sur le plan moral que politique, s'engage dans les médias.

Dans le même temps, les militantes du Mouvement de libération des femmes (MLF, qui émerge publiquement au printemps 1970) élargissent le débat en revendiquant le droit pour les femmes de disposer de leur corps par l'accès à la contraception et à l'avortement libres et gratuits : « Ils ne décideront plus pour nous », est leur mot d'ordre.

Le 5 avril 1971 Le Nouvel Observateur publie le « Manifeste des 343 » (très vite surnommé le « manifeste des 343 salopes » à la suite de la couverture de Charlie Hebdo) signé par des femmes célèbres et des anonymes qui déclarent avoir avorté et réclament l'accès libre aux moyens contraceptifs et à l'avortement. Le 20 novembre 1971 une grande manifestation est organisée à Paris ; à la fin du cortège, un cercueil évoquant les milliers de femmes victimes de l'avortement clandestin en France est brûlé au son de chants féministes. Les 13 et 14 mai deux journées de dénonciation des crimes faits aux femmes se déroulent à la Mutualité. On y parle abondamment d'avortement. Le combat est en marche.

Stratégie de défense

C'est dans ce contexte qu'est créée, au printemps 1971, l'association Choisir par l'avocate Gisèle Halimi. Elle porte l'action sur les plans juridique et judiciaire. Annoncée lors d'une conférence sur l'avortement tenue aux Beaux-Arts de Paris le 16 juin 1971, elle reçoit immédiatement de nombreuses lettres de soutien et des demandes d'aide. Celle de Michèle Chevalier attire son attention. Elle propose, avec l'accord des prévenues, de faire de ce procès une tribune pour la liberté de l'avortement. L'audience de Marie-Claire, mineure, se tenant à huis clos, c'est celui de sa mère et de ses « complices » qui pourra servir de caisse de résonance.

Aux réunions qui ont lieu le dimanche après-midi chez Simone de Beauvoir ou Gisèle Halimi, la stratégie se décide collectivement, non sans heurts. Faut-il mettre l'accent avant tout sur les inégalités de classes car, comme le rappelle un tract, « cette loi scélérate sur l'avortement ne frappe toujours que les mêmes, celles qui n'ont ni argent ni relations » ? Ou évoquer la situation commune de toutes les femmes face à l'illégalité de l'avortement ? Les avis divergent.

Gisèle Halimi veut construire la défense, ou devrait-on dire l'attaque, autour de l'audition de témoins de moralité qui ne sont pas liés directement à l'affaire mais jouissent d'une certaine crédibilité. Des militantes du MLF, soutenues par Simone de Beauvoir, réprouvent l'idée de faire parler des hommes célèbres, là où le procès devrait avant tout se faire l'écho de l'expérience des femmes. Les débats sont vifs mais Gisèle Halimi reste sur ses positions, ce qui crée une rupture durable avec certaines militantes dénonçant une forme d'autoritarisme.

Le jour de l'audience de la mère de Marie-Claire et de ses « complices », le 8 novembre, faisant fi de l'hostilité du président du tribunal, qui rappelle à plusieurs reprises que « ce n'est pas la loi que nous jugeons mais nous jugeons des faits et des personnes qui malheureusement sont là », elle a convoqué à la barre seize témoins. La question scientifique du commencement de la vie est traitée par le biologiste et académicien Jean Rostand et le professeur François Jacob, Prix Nobel de médecine. Comparaissent aussi des neuropsychiatres, des hommes politiques, comme Michel Rocard, alors député des Yvelines, des militantes du Planning familial à Paris (Simone Iff) et en Guadeloupe (Jacqueline Manicom), ainsi que des signataires du « Manifeste des 343 ».

La question des inégalités sociales devant l'avortement est mise en lumière avec force par les témoignages des actrices Françoise Fabian, Delphine Seyrig et de la journaliste Claude Servan-Schreiber, qui ont toutes déclaré avoir avorté mais sans avoir été inquiétées par la justice. Témoignent également deux « filles mères » de 18 ans, Claudette Pouilloux et Claire Saint-Jacques, qui racontent leur expérience désastreuse des « maisons maternelles », des structures qui devaient permettre aux mineures de poursuivre leur grossesse hors de leur foyer d'origine. Simone de Beauvoir clôt la comparution des témoins en analysant la place de la maternité dans le système patriarcal d'oppression des femmes qui repose sur le travail ménager gratuit.

Les plaidoiries finales de l'équipe Choisir enfoncent le clou, en particulier celles de Gisèle Halimi au procès de Marie-Claire le 11 octobre comme à celui des « complices » le 8 novembre. L'avocate réfute avec rigueur tous les arguments qui s'opposent à la légalisation de l'interruption de grossesse, attaquant une loi « inefficace, discriminatoire, anachronique, contraire à la liberté et la responsabilité de l'acte de procréation ». Enfin, elle va à l'encontre de la déontologie de la profession en prenant directement parti et en se présentant comme une femme ayant avorté.

Si elle reçoit de nombreuses lettres d'admiration avant et après les procès, son attitude lui vaut aussi la désapprobation de confrères et une convocation par le bâtonnier. « Vous avez beau secouer vos mèches et jouer du menton, des yeux et de la voix [...], l'avortement volontaire restera un meurtre, un meurtre avec préméditation, un assassinat, et le plus lâche des assassinats », lui assène un confrère.

Un élan de solidarité

Au-delà des quelques attaques personnelles, les archives de Gisèle Halimi, qui viennent d'être déposées aux Archives nationales après son décès le 28 juillet 2020, montrent un élan de solidarité en faveur des inculpées. On y trouve d'émouvants documents, comme la liste des collègues de la RATP ayant signé une pétition avec nom et matricule puis donné 5 à 10 francs pour aider à payer les dettes de la clinique, ou une lettre de Mme L., employée de métro, qui joint un billet de 50 francs pour Michèle Chevalier dont elle admire le courage, contribution aux frais de justice.

Des demandes de relaxe générale émanant d'individus et de collectifs, encouragées par l'association Choisir, sont envoyées directement au président de la 2e chambre du tribunal. Ainsi ce message des « mères de Mantes-la-Ville » qui signent sur un cahier d'écolier ou celui des médecins généralistes du XIXe arrondissement de Paris qui se déclarent confrontés quotidiennement aux problèmes d'avortement, de contraception, de manque d'information en matière de sexualité, et réclament l'avortement libre, ou encore le télégramme d'agents et agentes de l'ORTF qui se déclarent solidaires des inculpées.

Gisèle Halimi souligne l'intérêt des Français pour ce procès, le débat sur l'avortement étant « le leur », selon ses mots. Elle demande d'ailleurs, dans un pneumatique envoyé au garde des Sceaux René Pleven le 3 novembre 1972, que le jugement ait lieu dans une salle plus grande : celle prévue ne pouvant accueillir qu'une soixantaine de personnes, elle ne garantit pas « la règle de la publicité des débats ». Elle n'obtient pas satisfaction et seules quelques militantes et militants venus en nombre le 8 novembre parviennent à rentrer le jour de l'audience. Ils se font tout de même entendre dans l'ambiance sévère du procès.

La bataille ne se joue pas seulement entre les murs du tribunal. Les féministes occupent aussi la rue. Un rassemblement de quelques centaines d'hommes et de femmes, non déclaré en préfecture, est ainsi organisé place de l'Opéra, le 9 octobre 1972, à quelques jours du jugement de Marie-Claire. Il est dispersé de façon violente par les gendarmes mobiles, qui n'épargnent pas aux femmes coups de poing et de matraque. Une grande manifestation est également mise sur pied par le collectif Choisir à Grenoble le 4 novembre, tandis que, dans une brève, France-Soir du 23 novembre mentionne une manifestation d'une dizaine de personnes devant le consulat général de France à New York.

Les procès sont une nouvelle épreuve pour les inculpées, qui se retrouvent sous le feu des projecteurs. Dans une carte postale envoyée à Gisèle Halimi une semaine après l'audience, Micheline Bambuck explique qu'elle a pris quelques jours dans la baie de Somme pour se remettre de « [s]es malheurs » et « des scandales dans les journaux, lesquels [lui] ont fait une si belle réputation que [s]es enfants en subissent les conséquences ». Elle demande à l'avocate d'essayer de la réhabiliter car, dit-elle, « je suis "secrétaire" et non "faiseuse d'anges" ». Marie-Claire, dont on garde l'image d'une jeune fille cachant son visage des photographes en 1972, témoigne, des années après, dans Libération du 3 juillet 2019, de cette expérience traumatique que fut le procès pour elle.

« Un pas irréversible »

Les procès ne débouchent pas, à première vue, sur une victoire judiciaire éclatante. Certes, Marie-Claire est relaxée au motif que, « écolière à peine âgée de 16 ans, non préparée à l'état où elle se trouvait ni avertie des risques qu'elle courait, elle n'a pas librement et délibérément choisi d'accomplir l'acte qui lui est aujourd'hui reproché ; qu'elle a souffert des contraintes d'ordre moral, familial, social auxquelles elle n'a pu résister » (2). Pourtant, la jeune fille a affirmé haut et fort avoir choisi d'avorter et ne pas regretter son geste. Sur les marches du tribunal, le 11 octobre 1972, Gisèle Halimi estime que le jugement est à l'image du désarroi des juges mais qu'il s'agit tout de même d'un « pas irréversible ».

Le verdict des autres inculpées déçoit aussi l'avocate, qui avait demandé, « au nom de toutes les femmes », de « choisir le courage » et de relaxer toutes les prévenues pour envoyer un signal fort au législateur. Finalement, suivant le réquisitoire, seules les deux intermédiaires sont acquittées, Michèle Chevalier est condamnée à 500 francs d'amende avec sursis et Micheline Bambuck, qui a pratiqué l'avortement, à un an d'emprisonnement avec sursis. Cette condamnation est légère mais non exceptionnelle. Même si les peines encourues sont de six mois à deux ans d'emprisonnement pour les avortées, et de un à cinq ans pour le tiers non qualifié qui les a aidées, en pratique les juges appliquent largement les circonstances atténuantes et distribuent des peines avec sursis pour les non-récidivistes.

En revanche, le retentissement médiatique est d'ampleur. L'association Choisir est l'objet de plus de 500 articles de presse et de six heures d'antenne à la radio et télévision (si l'on en croit le compte rendu de l'assemblée générale de l'association en décembre 1972). L'écho, à gauche, est aussi important, le Parti socialiste, le PSU (Parti socialiste unifié de Michel Rocard) et les partis d'extrême gauche s'engagent désormais plus clairement sur la question de l'avortement.

Le 22 novembre 1972, jour où le verdict du deuxième procès est rendu, une conférence est organisée par l'association Choisir à la Mutualité pour tirer les conclusions du procès et développer son action. Gisèle Halimi y salue la présence de Mmes Chevalier, Sausset et Duboucheix, qui ont été au premier rang de la lutte menée depuis huit semaines. « Sans elles, estime-t-elle, sans leur volonté de se battre et de gagner, au-delà de leur propre cas, pour toutes les femmes de ce pays, la bataille que nous menons n'aurait pas pu prendre l'ampleur qu'elle a prise, ni connaître l'écho irréversible qu'elle suscite actuellement dans notre pays. » (3) Elle ajoute que toutes les femmes concernées par le problème de l'avortement constituent la « vague de fond qui emportera la loi de 1920 et son cortège d'humiliations, de pratiques atroces et de dénis de justice ».

Les procès de Bobigny ont amplifié la prise de parole des femmes sur les violences qu'elles subissent lorsqu'elles avortent clandestinement, provoquant un véritable élan collectif. Des centaines de témoignages anonymes ou célèbres se sont fait entendre après le « Manifeste des 343 », à l'occasion des procès et après. Menie Grégoire consacre sa célèbre émission sur RTL à la question de l'avortement le 9 novembre 1972, le lendemain de l'audience publique, et les lettres affluent par centaines. Toutefois, les récits à la première personne transcrits dans les médias militants et de grande audience ont contribué à transformer le débat public. Reste que l'accès à la parole publique est inégal. On n'entend pas notamment la voix des femmes avortées et stérilisées de force à la clinique Saint-Benoît à la Réunion par le Dr David Moreau et qui pourtant s'expriment lorsque éclate l'affaire en 1970-1971, comme l'ont documenté les travaux de Myriam Paris et Françoise Vergès.

Bobigny, en 1972, apparaît aujourd'hui comme une étape cruciale dans le mouvement qui mène à la légalisation de l'avortement trois ans plus tard, avec la loi portée par Simone Veil et le président Giscard d'Estaing. Quant à Marie-Claire Chevalier, morte le 23 janvier 2022, elle a donné son prénom à la passerelle en face du tribunal de Bobigny.

(1) Cf. J. Dalsace, A.-M. Dourlen-Rollier, L'Avortement, Casterman, 1970, p. 35.

(2) Jugement du tribunal de Bobigny, Ministère public C/ Chevalier Marie-Claire, 11/10/1972, Archives Gisèle Halimi, 799AP/124.

(3) Notes manuscrites de Gisèle Halimi, Archives nationales, 799AP/124.

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