TANGO INDIGO
Paroles | Barbara et Luc Plamondon | |
Musique | Barbara | |
Interprètes | Barbara et Gérard Depardieu | |
Année | 1985 (inédit 1986) |
Ponctué par des interventions parlées de Depardieu (intégrées au texte de Barbara dans la version studio), un long (plus de cinq minutes) tango à l'accordéon qui marque le début de l'histoire d'amour entre Lily Passion et l'"assassin blond".
BARBARA ET GÉRARD DEPARDIEU
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)
Un soir, elle croise un géant fragile au cours d'un dîner (1) : Gérard Depardieu. Elle n'a vu aucun de ses films ; lui, connaît ses chansons par cœur. Que se disent-ils ? Entre eux, tout de suite, l'amitié s'impose. Impossible à contourner. Obligés de se rencontrer. Depardieu entre dans la vie de Barbara, Barbara entre dans la vie de Depardieu, et chacun se met alors à nourrir pour l'autre une absolue tendresse. Fous rires interminables, jeu de la séduction, confiance, passions et vertiges en commun. Sans se parler, ils se comprennent. « Rencontre extraordinaire », dit-elle.
Elle aime sa puissance et se délicatesse, sa douceur et sa violence, son tempérament volcanique, son petit côté « loulou », sa noblesse de cœur et d'esprit, son amour infini des mots et la façon si sensuelle qu'il a de les pétrir, puis de les restituer. Lui, aime sa belle fantaisie, son âme lumineuse, sa grande tolérance, sa voix pénétrante, sa force de vie et ses rires solaires masquant des blessures sur lesquelles elle ne s'appesantit jamais. « Je l'aime. C'est tout », écrit-il un jour dans les colonnes de Libération (2).
Au début de 1983, en quelques mois, quelques semaines, Depardieu devient pour elle l'ami le plus proche, l'un des plus précieux. A ses yeux, il est un peu comme le grand Brel, le frère disparu mais jamais oublié ; un peu aussi comme l'autre Jacques, l'Higelin, qu'elle adore depuis des années et qu'elle voit de temps en temps. Un homme, une montagne à la sensibilité exacerbée, presque féminine, toujours bouleversant et toujours fidèle. Dès qu'il le peut, Depardieu lui rend visite à Précy ; lorsqu'il est loin, il téléphone, même en pleine nuit. La voix de Barbara a le don rare de le rassurer, d'apaiser les tonnerres de doutes qui éclatent en lui. « Ta voix n'est pas près de me quitter. Il y a une pépite d'or au creux de mon oreille pour le reste de la journée. » (3)
Rencontre providentielle.
Ils se connaissent à peine lorsque, pour la première fois, Barbara lui conte les aventures rêvées de David et de Lily Passion, la chanteuse et l'assassin blond. Attention : cet assassin-là n'est pas de bas étage, il n'a rien du mercenaire sanguinaire ! Au contraire, c'est une âme généreuse qui ne tue que pour soulager les faibles du poids de l'existence, et qui promet de ranger son couteau si Lily la chanteuse abandonne un jour son théâtre pour venir vivre avec lui... Drôle d'histoire.
A peine Barbara a-t-elle achevé son récit que l'acteur s'enthousiasme : « C'est pour moi. David, c'est moi. Ecris-le ! » En un éclair, Depardieu se voit dans la peau du tueur au grand cœur, amoureux de sa chanteuse mais emprisonné par ses démons intérieurs. Le rôle lui va comme un gant : un chassé-croisé de sentiments contradictoires, d'amour et de violence, de peur et de dévouement. Riche et subtil. Et encore, ce n'est qu'une esquisse ! Quant à savoir si la chanteuse lui en a vraiment parlé par hasard - comme elle l'assure - ou si elle avait déjà sa petite idée derrière la tête en lui glissant l'histoire... elle seule le sait ! Quoi qu'il en soit, Lily Passion et son assassin blond vont devenir bien plus qu'un vague projet pour Barbara : un but.
Elle se remet à écrire.
Mais que c'est long, douloureux, compliqué ! Jamais sans doute n'a-t-elle à ce point défait chaque matin ce qu'elle avait tissé la veille. Ecrire une chanson, c'est une chose et c'est difficile ; écrire une pièce d'une heure et demie avec ses personnages, ses dialogues et ses transitions, c'est une tout autre chose, un tout autre métier ! Dans le silence de Précy, elle empile les versions. Elle rédige, elle enregistre. Elle appelle Depardieu et lui raconte les va-et-vient de son stylo et de son scénario. « C'est bien, continue, continue d'écrire ! Ce spectacle est pour nous ! » L'acteur le plus occupé de France a beau se trouver à des centaines de kilomètres, retenu sur un tournage ou un autre, il suit assidûment la longue gestation de Lily Passion. Il soutient Barbara, l'encourage, la rassure. A tout prix il veut être de l'aventure. Quelles que soient les propositions qui arriveront demain sur le bureau de son agent, il a promis d'être là le jour J, avec elle, pour le coup d'envoi des répétitions.
Dans leurs entourages respectifs, pourtant, on n'y croit guère. La carrière et les cachets de Depardieu sont en pleine ascension, ses succès sont fulgurants, il croule sous les propositions, et comme c'est un boulimique de cinéma, il accepte les films à tour de bras... Comment pourrait-il consacrer quatre ou cinq mois au projet incertain de la chanteuse ? Comment pourrait-il se libérer pour répéter, jouer à Paris, partir en tournée ? De bonnes âmes font passer le message à Barbara, toujours absorbée par ses travaux d'écriture. Autant qu'elle le sache.
Et puis, il faut bien dire que le couple Barbara-Depardieu en laisse plus d'un dubitatif. Elle, si délicate ; lui, si massif... Qui les aurait imaginés côte à côte ? Et, franchement, qui va croire à cette histoire loufoque de chanteuse et d'assassin ? Qui a envie d'entendre Barbara jouer la comédie plutôt que de chanter ? Et comment son public, qui se nourrit de sa relation exclusive avec elle, va-t-il pouvoir accepter la présence d'un autre dans la lumière ? Bref, Lily Passion n'est pas encore née que, déjà, beaucoup l'ont enterrée.
Les seuls qui semblent y tenir, ce sont eux deux. « Je serai David, je te le jure ! » répète Depardieu. Elle le croit. Elle n'entend aucun oiseau crier ses mauvais augures : ni ceux qui doutent que le projet tienne la route, ni ceux qui craignent la réaction des spectateurs, ni ceux qui parient sur l'indisponibilité de l'acteur. Barbara a décidé de faire confiance. « Je veux toujours aller au bout de ma vérité, même si elle est absolument démente... » Elle écrit.
(1) On ignore précisément quand ils se sont rencontrés. Il est probable qu'ils se soient croisés pour la première fois à la toute fin des années 70. Puis retrouvés au hasard d'un dîner vers 1982-1983.
(2) Libération, 28 septembre 1987.
(3) Lettres volées, Jean-Claude Lattès, 1988.