SID'AMOUR À MORT

Paroles Barbara
Musique Barbara
Interprète Barbara
Année 1987

Une des premières chansons à parler du sida.

L'ENGAGEMENT CONTRE LE SIDA
(Barbara Portrait en clair obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)

Difficile de savoir à partir de quand, exactement, elle prend conscience du drame, mais on sait avec certitude que dès le milieu des années 80, la lutte contre le sida devient son grand combat. Barbara va alors passer outre aux frilosités de l'époque pour se consacrer à la prévention et à l'accompagnement des malades avec une énergie et un investissement hors du commun. Très vite, son action va se décliner en deux volets : le visible - déclarations à la presse, discours au public -, et l'invisible - dons aux associations, concerts en prison, visites dans les hôpitaux, liens directs avec les malades... Près de dix ans après sa mort, on continue d'en apprendre. Est-il utile de préciser que la partie immergée de l'iceberg fut de loin la plus importante des deux ?

Aux yeux du grand public, Barbara et le sida, c'est d'abord une chanson créée en 1987 sur la scène du Châtelet. Nous sommes alors un peu plus d'un an après Lily Passion, et la chanteuse renoue avec le récital. Premier tour de chant depuis la folie de Pantin. Pour ce nouveau retour, elle a choisi l'un des plus beaux et des plus grands théâtres de Paris, une salle à l'italienne, magnifique, avec ses velours, ses loges et ses balcons.

Le 16 septembre au soir, alors que le spectacle a commencé depuis environ une demi-heure, Barbara détache six notes sur le clavier de son piano. Puis elle s'arrête. « Ça, c'est une chanson que j'aurais vraiment aimé ne pas avoir écrite. » La salle est suspendue. Elle chante d'une voix déchirée :

Si s'aimer d'amour
C'est mourir d'aimer [...]
Sida sidamnés [...]
Ils sont morts d'amour,
Sid'assassinés. (1)

La chanson s'achève sur un cri de colère : la chanteuse se lève, hurle, fend la scène à grands pas pour expulser sa rage. Sans micro, elle crie encore. Le public est sous le choc. Quelques jours plus tard, Le Monde consacre une partie de sa une à la rentrée de Barbara et publie le texte de la chanson en page intérieure ! Un grand article raconte le spectacle. « La salle, d'abord, est un peu sida-sidérée, écrit la journaliste Danièle Heymann. Mais c'est fait avec tant de crânerie, tant de panache... Une fois encore, Barbara la généreuse, la pas peureuse, nous a offert résolument une grande rafale de l'air du temps. » (2)

Du jour de sa création jusqu'à son dernier concert, Sid'amour à mort figurera dans tous ses tours de chant.

Lors du récital suivant, à Mogador, en 1990, Barbara va plus loin : elle ne se contente pas de chanter le sida, elle en parle. Avec un humour irrésistible et une conviction inébranlable, elle explique au public médusé : « Le sida, il n'y a que trois façons de s'en préserver : l'abstinence - chacun fait comme il veut -, la fidélité - chacun fait comme il peut et comme il dit... - et le préservatif. Et vous le savez bien : les préservatifs ne sont pas faits pour se mettre sur la tête ! Alors, au nom de l'amour qui nous lie depuis trente ans, je vous le demande du fond de moi-même : ces préservatifs, s'il vous plaît, mettez-les ! » Chaque soir, la salle applaudit à tout rompre. Les spectateurs sont soufflés par tant de culot, de proximité et de naturel. Ce n'est pas la seule de leurs surprises : quand le rideau tombe et que vient l'heure de se quitter, ils découvrent en traversant le hall du théâtre, des petits paniers en osier avec, dedans, des dizaines de préservatifs à disposition ! Autant dire que, une fois la foule dispersée, les petits paniers sont vides.

Pour ceux qui ne viennent pas l'écouter, Barbara s'exprime ailleurs. La première fois, c'est en 1988, dans les colonnes de Libération : elle explique au médecin-reporter Gilles Pial qu'elle s'apprête à consacrer une année entière à lutter contre le sida. « J'aimerais m'attaquer avant tout à l'information. Entrer dans les facs, entrer dans les écoles, dans les prisons... Peut-être faut-il faire des dessins animés pour les gosses, des clips ? Il faut que j'y aille ! » (3) Pour elle, c'est une interview fondamentale : non seulement elle va s'évertuer à mettre en œuvre ce qu'elle y annonce, mais, à partir de cet instant, elle va partout marteler son message. Dès qu'un journaliste l'interroge, elle s'arrange presque toujours pour évoquer le sujet, parler de la douleur et de l'insupportable isolement des malades, insister sur les enjeux de la prévention.

Voilà pour la partie émergée de l'iceberg.

Le reste fut un infatigable combat sans micro ni caméra.

Dès le milieu des années 80, Barbara veut rencontrer des spécialistes : Willie Rozenbaum, le codécouvreur du virus ; le professeur Leibovitch, chercheur à Garches. A chacun elle dit son admiration ; à chacun elle pose des questions. Gilles Pial (en réalité Pialoux), le médecin-chroniqueur de Libération, l'aide à pénétrer le monde assez fermé de la médecine et de la recherche. Barbara se forme : elle veut savoir pour mieux comprendre et mieux expliquer.

En 1988, elle profite d'une visite à l'Elysée (4) pour aborder de front l'un des conseillers les plus influents du président, Jacques Attali. « Elle est venue vers moi et m'a dit : "Il faut que je vous voie, que je vous parle, j'ai lu des livres de vous..." Elle était très gentille. "Il faut que je vous voie, parce que je veux faire quelque chose sur le sida, je veux absolument avoir le droit d'aller dans les prisons pour parler aux prisonniers", etc. Elle voulait mener une grande campagne d'information. J'ai essayé de l'aider, bien que le ministre de la Santé de l'époque n'ait pas été favorable à ce genre d'initiative. Il a même tout fait pour l'empêcher. Mais, finalement, on a réussi. »

Au même moment, à Marseille, un homme s'engage : le professeur Gastaut, l'un des tout premiers médecins à s'occuper sérieusement du sida dans une région très touchée par l'héroïne - donc par la maladie. Dès le début des années 80, l'hématologue s'interroge sur cette épidémie qui décime les milieux homosexuels de Californie. En 1983, il accueille dans son service un premier sidéen. Deux ans plus tard, avec l'apparition du test de dépistage, il prend la mesure du désastre. « Soudainement, les diagnostics ont explosé. Grâce au test, on a pu déceler la présence du virus chez des patients qui ne présentaient aucun symptôme. Et on a saisi à quel point la situation était grave. »

Très vite, les cas se multiplient : séropositivité, sida avéré. « C'était une période de grande urgence. De nouveaux malades nous arrivaient chaque semaine, presque chaque jour. La plupart étaient très, très mal. Et ils mouraient souvent très rapidement. » Le sida fait des ravages, mais il ne s'attrape pas par l'opération du Saint-Esprit. Pour l'enrayer, le professeur comprend alors qu'il faut éduquer tout autant que soigner. Et qu'il faut notamment accéder au bastion très fermé et très exposé des prisons.

A partir de 1986, Jean-Albert Gastaut parvient à ouvrir une première consultation VIH dans l'enceinte des Baumettes. C'est un précurseur. « C'était dur. La vie en prison est difficile, et la population carcérale n'est pas simple non plus. Je me rappelle beaucoup de détenus qui portaient à la fois le poids de leur toxicomanie et de leur sida. On les laissait mourir dans des conditions déplorables. Il fallait faire quelque chose : améliorer leur sort, et, bien sûr, informer les autres pour ralentir la contamination. »

A cette époque, le médecin ignore encore que Barbara pense la même chose.

« Jusqu'au jour où le docteur Pialoux me téléphone de Paris. On se connaissait un peu, pas plus que cela, mais il savait que j'intervenais aux Baumettes. Il me dit : "Voilà, Barbara veut absolument prendre sa part d'action dans la lutte contre le sida. Elle aimerait aller en prison, rencontrer les prisonniers pour chanter et parler. Mais il faudrait qu'un médecin l'accompagne afin de répondre aux questions purement médicales." J'ai été immédiatement séduit par cette belle idée. Je n'avais jamais vu une telle initiative de la part d'un artiste. A l'époque, les malades du sida, détenus de surcroît, étaient considérés comme des pestiférés. Et puis, pour moi, Barbara était une artiste exceptionnelle, au même titre que Ferré, Brel ou Brassens. J'ai donc dit oui. On a fixé un rendez-vous, directement aux Baumettes.

- Vous l'avez retrouvée au sein même de la prison ?

- Oui, la veille du concert. J'étais passé par une entrée secondaire, et elle par la grande porte. Je la revois arriver avec son assistante dans la cour intérieure des Baumettes, habillée de couleurs sombres. C'était une grande femme avec beaucoup d'allure, une gueule extraordinaire. Elle m'a impressionné.

« On a commencé à parler, le plus naturellement du monde. Elle m'a posé des questions, elle voulait savoir. Elle était déjà très au courant - autant qu'on peut l'être lorsqu'on n'est pas médecin. Elle était très simple. On a repéré les lieux ensemble : la salle de spectacle de la prison. A aucun moment elle ne m'a joué le numéro de la grande artiste qui vient soutenir les pauvres gens... Pas du tout ! Elle est même restée d'une discrétion parfaite. D'ailleurs, très vite, elle m'a prévenu : "Ne dites à personne que je suis là. Demain, pour le concert, je ne veux aucun journaliste."

« Le lendemain, on a fait entrer les trois ou quatre cents détenus dans la salle - que des hommes. Puis elle est arrivée en tunique et pantalon noirs, beaucoup de détenus la connaissaient déjà, mais elle s'est donnée à fond. Je me rappelle m'être demandé comment les détenus allaient réagir... On m'aurait dit : "Johnny Hallyday vient chanter à la prison", je ne me serais pas inquiété une seconde, mais là, Barbara ! En fait, tout s'est très bien passé. Elle a chanté presque une heure, et elle a fait un tabac. A ma grande surprise, beaucoup de détenus la connaissaient déjà. Et ceux qui n'en avaient jamais entendu parler ont vraiment apprécié. Il y avait des petits dealers, mais aussi des grands criminels, de vrais bandits...

« Ensuite je suis monté sur scène, elle s'est assise au premier rang, et nous nous sommes mis à répondre ensemble aux questions des prisonniers. Il y en a eu beaucoup ! C'était l'époque où les gens se demandaient encore comment on attrape le sida. Je l'ai sentie vraiment très investie dans cette aventure. En sortant des Baumettes, elle était heureuse. Son pari était risqué, et elle l'avait gagné. »

Avant de rentrer à Précy, Barbara prendra soin de laisser toutes ses coordonnées au médecin, qui fera de même. Quelques mois plus tard, il aura l'agréable surprise de recevoir deux places pour son nouveau récital à Paris. Puis de lire son nom dans une interview qu'elle accordera à Télérama (5) : « Le professeur Gastaut, un type formidable... »

Visiblement, l'expérience des Baumettes a marqué Barbara puisqu'elle la renouvellera ailleurs : Fresnes, Fleury-Mérogis, Rennes, Montluc... Le professeur Gastaut, lui, ne reverra plus la chanteuse. Mais l'image qu'il en garde est toujours très prégnante : « Cela reste pour moi une parenthèse étonnante, un souvenir ébloui. Il faut bien comprendre que s'occuper du sida, surtout à cette époque, c'était difficile. Croyez-moi, cette femme avait quelque chose de fabuleux. Je l'ai trouvée admirable et infiniment séduisante. Elle s'est engagée de façon totalement désintéressée, sans médias. »

Ce n'est sûrement pas Jacques Attali qui dira le contraire, lui qui est peu à peu devenu un proche de la chanteuse et qui a suivi presque pas à pas son engagement : « Elle était complètement déterminée, totalement investie. Elle avait choisi cette bataille, elle voulait la mener. Elle considérait que son rôle était à la fois de consoler les gens qui étaient atteints et de faire de la pédagogie. Je sais qu'elle y consacrait beaucoup de temps, puisque souvent elle m'appelait en me disant : "Je sors de Fresnes ou de la Santé..." C'était extraordinairement difficile : elle allait voir des mourants, dans des conditions terribles. La politique des prisons était encore très dure à l'époque. Très dure. Mais elle tenait bon, tout en restant discrète. Elle était pudique, mais elle me disait combien c'était pour elle gratifiant de pouvoir s'investir de la sorte. »

(1) Sid'amour à mort (Barbara), Famille Barbara, 1987.

(2) Le Monde, 22 septembre 1987.

(3) Libération, 28 novembre 1988.

(4) En septembre 1988, Barbara est décorée de la Légion d'honneur par François Mitterrand.

(5) Télérama, 31 janvier 1990.

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