REGARDE

Paroles Barbara
Musique Barbara
Interprète Barbara
Année 1981

Barbara / Récital Pantin 1981, le cinquième album en concert de l'auteure, s'ouvre par la première des deux chansons créées à cette occasion, qui est aussi la seule ouvertement politique de tout son répertoire, une samba où, en quatorze quatrains, Barbara chante l'enthousiasme et l' "espoir" (le texte se termine sur ce mot) suscités par l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République.

BARBARA ET LA POLITIQUE
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)

Mais qu'en fut-il au juste de ses engagements politiques ?

Pendant longtemps, très longtemps, Barbara le a gardés pour elle. Rien ne dit d'ailleurs qu'elle ait eu des convictions très marquées, si ce n'est un souci permanent de justice. En tout cas, à entendre ses proches, la politique ne faisait pas vraiment partie de ses sujets de conversation. Elle s'y intéressait sans trop s'y impliquer.

Tout juste, dans les années 60, aurait-elle pris une carte syndicale. Il n'en reste aujourd'hui pas trace, seulement le souvenir du chanteur Claude Vinci : « En 1963, j'étais à La Colombe. Les conditions dans lesquelles nous nous produisions sur la rive gauche étaient vraiment difficiles : les cabarets nous payaient tous de la main à la main. Je décide donc un jour de faire une réunion au sous-sol de La Boule d'Or pour essayer de monter un syndicat et réclamer des fiches de salaire en bonne et due forme. Il y avait là une trentaine de personnes. L'un de nous me dit : "Pas la peine de créer un syndicat, il en existe déjà un, le SFA." C'était le syndicat des comédiens qui avait une branche variétés. Ce jour-là, tout le monde y a adhéré, y compris Barbara. » Possible. Elle ne se livre pour autant à aucun militantisme.

En mai 1968, autre décor : la chanteuse a quitté le cadre précaire des cabarets ; elle est désormais célèbre, tiraillée entre le bonheur de la reconnaissance et la peur panique du lendemain. Si mal dans sa peau, Barbara, qu'à peine rentrée de tournée elle fait une cure de repos dans une clinique de la région parisienne. Marie Chaix vient la voir. Au-dehors, pas très loin, des barricades poussent et des pavés pleuvent. La chanteuse interroge : « Que se passe-t-il ? » Elle n'en peut plus de ne pas savoir, coincée dans sa clinique alors que le pays bouillonne. « De Mai 68 elle ne vivra que les récits haletants que je cours lui faire entre deux de ses sommeils. Nous nous asseyons sur un banc, dans le parc de la clinique, sous les marronniers et les chants d'oiseaux, où je déroule pour elle les manifestations, les gaz lacrymogènes, les pavés qui volent, les "CRS SS"... » (1)

Minorité tempétueuse contre majorité silencieuse, Barbara s'informe. Elle quitte même la clinique plus tôt que prévu pour suivre la fin des événements devant sa télévision. En public, toutefois, elle ne fait aucun commentaire. Ce n'est qu'à partir des années 80 qu'elle va davantage s'affirmer femme de gauche, tout en gardant réserves et distances.

Il paraît que l'histoire débute le 10 mai 1981 ; c'est du moins ainsi qu'elle le raconte. Ce soir-là, Barbara est à Paris, elle rentre à Précy, sa voiture passe tout près de la Bastille : elle y voit des milliers de jeunes gens euphoriques, convaincus qu'un nouveau jour est sur le point de se lever, un jour plus clair et plus juste pour les oubliés de la prospérité. A la Bastille, des gens s'embrassent, des gens pleurent, des gens rient, des gens chantent, des gens dansent. La foule est en liesse et Barbara est bouleversée. Quelques heures ou quelques jours plus tard, elle en fait une chanson :

Sous ce ciel déchiré
Tout s'est ensoleillé
(...)
Un homme,
Une rose à la main,
A ouvert le chemin
Vers un autre demain. (2)

Elle chante Regarde pour la toute première fois sous le grand chapiteau de Pantin. Très vite, les médias rebaptisent la chanson L'Homme à la rose. Et à jamais ils rangent Barbara du côté des socialistes, ou du moins des mitterrandiens. Etiquetage simpliste !

Nul doute que la chanteuse se soit sentie à gauche plutôt qu'ailleurs ; nul doute non plus qu'elle ait eu pour François Mitterrand une certaine admiration. Ils n'ont pas été proches, mais l'esprit vif et cultivé de l'homme d'Etat l'a séduite. Sentiments du reste mutuels : Mitterrand est allé l'écouter au Châtelet et à Mogador, il l'a faite chevalier de la Légion d'honneur, il l'a même invitée à sa garden party... et le plus étonnant, c'est qu'elle ait accepté et la médaille et l'invitation, elle qui était pourtant du genre à fuir les honneurs et les mondanités ! Barbara avait pour Mitterrand une réelle affection. C'est d'autant plus indiscutable que, pour lui, elle est allée là où personne ne l'attendait : dans un meeting ! Dans deux meetings, plus exactement, à Rennes et à Toulouse, lors de la campagne présidentielle de 1988. Apparitions fugaces : chaque fois, Barbara est montée sur scène pour y chanter Regarde, puis elle s'est éclipsée. Reste que le geste était fort, et le message on ne peut plus clair.

Alors, Barbara militante ? Jacques Attali a une vision bien plus subtile de la chose : « Elle admirait Mitterrand, mais avec beaucoup d'ironie. Il l'amusait. Elle le voyait un peu comme un homme de spectacle. Si elle a chanté dans deux de ses meetings, c'était par pure amitié ; l'idée ne venait pas d'elle. Et si elle a fait ensuite partie du comité de soutien à Lionel Jospin, c'est parce qu'on le lui avait demandé. Elle agissait beaucoup plus par amitié que par militantisme. On lui demandait, elle aidait. » Le fait est que jamais, d'elle-même, elle n'a profité des micros pour soutenir l'un ou l'autre. Au contraire. En 1990, elle déclarait encore au Figaro Magazine (3) : « La politique n'est pas mon langage. » Et trois ans plus tard, dans les pages de Libération : « Le pouvoir rend fou. A un moment donné, le pouvoir n'est plus dans la réalité, il parle d'une réalité qu'il ne connaît plus, puisqu'il n'est plus dedans ; les gens de pouvoir vivent enfermés dans un autre monde. » (4) Cela aussi, c'est on ne peu plus clair.

(1) L'Eté du sureau, Marie Chaix, Editions du Seuil, 2005.

(2) Regarde (Barbara), Famille Barbara, 1981.

(3) 24 février 1990.

(4) 18 novembre 1993.

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