MES HOMMES

Paroles Barbara
Musique Barbara
Interprète Barbara
Année 1968

Tranquillement féministe ("Ils marchent le regard fier, / Mes hommes / Moi devant et eux derrière"), un hommage (en quatorze huitains rythmés par l'épiphore "Mes hommes") de Barbara à ses musiciens, dont certains sont aussi ses amants (ce qui ne les empêche pas d'aller "chasser dans la nuit" les "brebis / Qui ont le goût et l'envie / Des hommes"), un hommage qui décrit des relations quelque peu idéalisées de soumission ("Ils ne m'appellent pas Madame, / Mes hommes / Mais gravement ils me nomment / Patronne"), de dévotion ("C'est fou comme ils sont heureux, / Mes hommes / Quand le son du piano noir / Résonne") et de protection ("Tout d'amour et de tendresse, / Mes hommes / M'ont fait une forteresse / Non, vous ne passerez pas / C'est à eux n'y touchez pas / Ils sont violents quelquefois / Mes hommes").

ILS SE SOUMETTENT A MA LOI...
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)

« Chanter, c'est prendre le voile », disait souvent Barbara. Il faut croire que travailler avec elle relevait aussi de l'ordination ! Il fallait mettre sa vie privée entre parenthèses, accepter de tout lâcher à la minute si elle avait besoin de vous. Et tous - musiciens, assistant(e)s ou techniciens - s'y sont pliés de bonne grâce, bien conscients qu'ils côtoyaient là une femme hors du commun, et qu'en retour ils recevraient au moins autant que ce qu'ils donneraient. N'empêche, c'était lourd. Aujourd'hui encore, si l'on prononce devant Nadine Laïk les mots « Barbara » et « possessivité », elle vous regarde de biais et pend une respiration abyssale. « Elle était d'une possessivité terrible. Terrible ! On était à elle ou on n'était pas du tout... A des degrés divers, bien sûr... Mais, une fois que le degré était fixé dans sa tête, l'autre avait tout intérêt à le comprendre, s'il voulait rester. » Roland Romanelli est resté près de vingt ans et les règles du jeu, il les connaissait par cœur.

« Quand on était à Paris, il lui arrivait souvent de m'appeler à trois heures du matin et de me dire : "J'ai une idée géniale, il faut que tu viennes, qu'on essaie quelque chose." Je m'habillais, j'y allais et je ne savais pas quand j'allais rentrer. Il fallait être disponible. Je pouvais rester trois, quatre, six jours ! Après, bien plus tard, j'ai commencé à m'organiser. J'étais musicien de studio également. Je lui disais : "Quand tu ne répètes pas, est-ce que tu m'autoriserais à travailler avec tel ou tel..." Sèchement, elle me répondait : "Pour faire quoi ?" C'était une exclusivité totale. Elle m'a interdit de travailler avec certaines gens, des gens connus.

- Qui ne lui plaisaient pas ?

- Elle ne voulait pas. »

Barbara et Romanelli, ce fut un tandem musical à l'accord longtemps parfait, mais aux relations souvent passionnées. « Il faut bien comprendre qu'elle était tout à la fois géniale et généreuse, mais aussi terrible et cruelle. En deux phrases assassines, elle était capable de vous mettre à terre. Elle savait être épouvantable. Et de mauvaise foi : quand elle n'était pas bonne, elle avait tendance à dire que c'était de ma faute ! Moi, il m'arrivait de lui répondre, de lui dire qu'elle exagérait. » Et le musicien de raconter, avec un brin de malice dans les yeux, un échange un peu vert entre eux deux : « Un jour, à la toute fin du concert, alors que nous étions en train de nous pencher pour saluer le public, elle me glisse en me vouvoyant : "Je ne vous félicite pas, Roland. Vous avez été très mauvais, ce soir !" Et moi : "Comme d'habitude, Madame, je n'ai été que le reflet de vous-même." » Devant une telle présence d'esprit, « Madame » ne pipa mot. La chanteuse n'était pas toujours tendre, mais elle savait entendre.

D'autant qu'avec Romanelli, la confiance était totale. Durant deux décennies, ils se découvrirent et se devinèrent l'un l'autre. « Moi, je n'arrive pas à jouer systématiquement deux fois la même chose. Pour les chanteurs qui s'accrochent aux répétitions, c'est gênant. Pour un véritable artiste, ça ne l'est pas. C'était son cas. Elle me disait toujours : "Tu peux faire ce que tu veux ce soir, jouer comme tu l'entends, mais à une condition : que ce soit encore mieux qu'hier." Cette femme-là vous poussait vers le haut en permanence. » Barbara et Romanelli, ce fut un feu d'artifice quasi permanent, jusqu'à ce que tout explose brutalement, en 1985, sur un banal désaccord artistique. Ce jour-là, ils se séparèrent pour ne plus jamais se revoir. L'heure de la rupture avait sonné.

A partir de 1986, c'est Gérard Daguerre, déjà présent sur le spectacle de Pantin, cinq ans plus tôt, qui prend le relais et devient le musicien attitré  de Barbara. Avec lui, elle se montre plus souple, moins possessive. En quinze années de collaboration serrée, elle ne le dérange qu'une seule fois chez lui un jour férié, et pour une raison - à ses yeux - de première importance : elle bute sur un enchaînement au piano ! « Il faut que tu viennes immédiatement, je ne trouve pas l'accord » lui lance-t-elle au téléphone... Et il vient.

Car même si elle s'est un peu calmée avec l'âge, sa loi reste fondamentalement la même jusqu'au bout, claire et stricte : « Si on n'était pas dans son sillage, ça ne marchait pas, aucune concession n'était possible, admet Daguerre. Pour faire un spectacle avec elle, on répétait six mois et je savais très bien que, pendant six mois, je ne pouvais rien faire d'autre. » (1)

Avec Barbara, les musiciens ont donc toujours su à quoi s'attendre : rester disponible et travailler jusqu'à plus d'heure. Logique, au fond : elle nouait avec chacun d'eux des relations si étroites qu'elle aurait eu toutes les peines du monde à les remplacer au pied levé.

Pour les chauffeurs, c'était à peu près la même chose : Pierre, le tout premier, fut un homme de confiance et un modèle de dévouement dans les années 60. Et déjà ses tâches ne s'arrêtaient pas à la portière de la Mercedes : il lui arrivait par exemple régulièrement d'être mandaté par la dame pour faire quelques couses, ce dont il s'appliquait avec plaisir et application. Avec le temps, Pierre avait même fini par s'occuper de la sono - lourde responsabilité. Beaucoup plus tard, le très discret Patrick, chauffeur de Barbara de 1990 à 1994, fut tout autant sollicité : non seulement le garçon devait tenir le volant, jouer les gardes du corps, repousser gentiment mais fermement les fans les plus zélés, transmettre des messages aux plus fidèles, mais il devait aussi, chaque soir de tournée, et quelle que soit l'heure, passer dans la chambre de sa patronne pour y brancher et y régler son magnétoscope. Au cas probable où l'insomnie la gagnerait...

Autant dire que, pour les assistantes, le scénario était à l'avenant : elles devaient se tenir prêtes et s'attendre à tout... y compris au plus inattendu !

Souvenirs croisés et saugrenus.

Nadine Laïk : « Elle adorait les très gros cornichons russes. Et, manque de bol, le Drugstore de l'Etoile était ouvert à l'époque jusqu'à deux ou trois heures du matin. De temps en temps, quand ça la prenait, elle m'appelait, j'étais en train d'essayer de m'endormir, et j'entendais : "Chérie, il n'y a pas un cornichon dans cette maison, et j'en ai besoin ! Alors, tu vas chercher des cornichons, tu viens et on va rire ! On va rire !" Et on riait beaucoup. Elle faisait des numéros irrésistibles. Elle était drôle. Je n'ai jamais connu quelqu'un de plus drôle qu'elle. Quand elle était drôle, c'était irrésistible. »

Marie Chaix : « Moi, ce n'était pas les cornichons mais ça pouvait être : "Viens me chauffer les reins parce que je ne peux pas dormir." Ce n'étaient que des prétextes qui voulaient juste dire : "Ne me laisse pas seule." Elle pouvait vous appeler à toutes les heures de la nuit si elle avait besoin de quelque chose, ou pour s'amuser, ou pour vous dire qu'elle vous aimait. Barbara, c'était une présence continuelle. J'imagine que c'était une façon de voir si on l'aimait, si on tenait à elle... Ça a souvent été une façon d'appeler au secours, aussi. »

Sophie Makhno : « C'était extrêmement fatigant. Epuisant ! Elle ne se rendait pas compte de ce qu'il fallait mettre en œuvre. Il fallait tout le temps aller la récupérer, la ramasser, la ramener dans une certaine ligne. »

Nadine Laïk : « Mais si on l'avait appelée au milieu de la nuit en lui disant "Je suis perdue", elle serait venue immédiatement ! C'était une louve, il ne fallait pas toucher à ses petits. Elle, elle pouvait tout leur faire ; mais il ne fallait pas toucher à un seul de nos cheveux ! »

Marie Chaix : « Quand j'ai eu quelqu'un dans ma vie qui me prenait du temps - et donc qui lui prenait du temps -, ça a commencé à devenir un problème. »

Les anciennes assistantes de Barbara vous diront souvent que leurs relations avec elle se sont dégradées lorsqu'elles sont devenues mamans : plus assez disponibles, plus de fusion possible. La chanteuse devait continuer sa route seule ou avec d'autres. Mais ses séparations furent en général aussi flamboyantes que ses emballements. « Quand elle se fâchait avec les gens, c'était dans la seconde, raconte Marie Chaix. Elle s'est séparée de Joss Baselli comme cela ; de Romanelli, de Sophie Makhno, de Nadine Laïk et de moi de la même manière. Chaque fois, ç'a été bouclé en trois minutes. » Pas très étonnant.

(1) Lettre des Amis de Barbara, n°10, été 2002.

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