LE COULOIR

Paroles Barbara
Musique Barbara et Jean-Louis Aubert
Interprète Barbara
Année 1996

Une voix qui porte "Des fatigues à n'en plus finir" pour un hommage au dévouement des infirmières ("des anges / En blouses blanches / Qui bercent le désespoir") auprès des malades (ceux du sida notamment, même s'ils ne sont pas nommés, mais aussi Barbara elle-même, habituée des hôpitaux, tant comme patiente que comme visiteuse), et la première des deux contributions d'Aubert à l'album Il me revient.

BARBARA ET ACT UP
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)

Christophe Martet, lui, rencontre Barbara un peu plus tard. Toujours pour la même cause : « Notre tout premier contact a eu lieu en 1993. J'étais en train de quitter le local de notre association lorsque quelqu'un me rattrape dans l'escalier et me dit : "Viens vite, il y a Barbara au téléphone !" J'ai d'abord cru que c'était une blague, mais je suis quand même remonté. J'ai pris le combiné et j'ai très vite reconnu sa voix. » Au bout du fil, c'est bien Barbara qui se présente. Et si elle demande Christophe Martet, c'est parce qu'il est le président d'Act Up.

« A cette époque, la France était encore dans le déni de la maladie, alors que nous étions le pays le plus touché d'Europe. Le sida restait un sujet tabou, et la mobilisation des artistes n'en était qu'à ses balbutiements. Quant à Barbara, nous savions qu'elle menait des actions de son côté, qu'elle allait dans les hôpitaux et dans les prisons... Mais nous n'en savions pas davantage. »

De cette toute première conversation Christophe Martet garde un souvenir un peu confus. « Elle parlait beaucoup, elle parlait très vite, elle disait qu'on faisait un travail formidable, qu'elle voulait nous soutenir concrètement, mais qu'elle ne savait pas comment. Je lui ai dit que le plus efficace, c'était de nous envoyer de l'argent. Alors, on a commencé à recevoir des dons de sa part. Des dons importants. Et, de temps en temps, elle envoyait un fax au bureau : "Bravo, je vous soutiens, continuez." »

Début 1975, Act Up, habitué aux coups d'éclat (capote géante sur l'Obélisque, manifestations allongées, concerts de sifflets...), décide d'organiser une grande soirée dans une boîte de nuit parisienne, Le Palace : cette fois, il s'agit juste de mettre en vente des vêtements de créateurs. « Catherine Deneuve a été formidable : elle est venue et elle a acheté plusieurs tenues. Quant à Barbara, elle n'a pas pu se déplacer, mais elle a essayé de mobiliser des artistes : je me rappelle notamment qu'elle avait été très choquée des propos d'une grande actrice qui nous avait quasiment traités de fascistes... Barbara, elle, avait parfaitement compris que notre violence n'était que symbolique, qu'elle nous permettait d'expulser notre colère et notre désespoir. Je crois même qu'elle connaissait très bien ce sentiment. Pour Le Palace, elle a enregistré un texte inédit, Le Couloir, sur l'hôpital. On l'a diffusé pendant la soirée. Les lumières étaient baissées, on entendait cette voix très présente, ces mots très forts... C'était vraiment impressionnant. »

L'année suivante, dans l'ultime album de Barbara, Le Couloir devient une chanson mise en musique par Jean-Louis Aubert. « Ils ont tous les deux voulu donner les droits à l'association. J'ai donc pris rendez-vous chez l'agent de Barbara, Charley Marouani, pour signer les papiers. Jean-Louis Aubert est passé en premier - il connaissait assez mal Act Up. Puis Barbara est arrivée, accompagnée de son assistante. C'était la première fois que je la voyais. Elle était très grande, habillée en noir, des lunettes fumées et une espèce de boa autour du cou. Tout est allé vite : on a signé, et on l'a raccompagnée jusqu'à sa voiture. Je la revois assise, vitre baissée, nous dire à quel point Act Up était utile. Et surtout elle répétait : "Bougez-moi tout ça ! Bougez-moi tout ça !" »

Une fois l'album sorti, les droits se mirent à tomber dans la cagnotte d'Act Up : aux alentours de deux cent mille francs par an, somme considérable pour une association ! « Barbara, c'est l'artiste qui a le plus contribué à notre lutte, et nous en sommes très fiers. Elle avait une vraie légitimité, un engagement personnel. Beaucoup se contentent de signer un chèque de temps en temps, quand on les sollicite, et de passer à autre chose... Elle, elle allait beaucoup plus loin, sans qu'on lui demande quoi que ce soit. Tenez : l'un des anciens présidents d'Act Up, Clews Vellay, mort du sida à l'âge de trente ans, nous a raconté qu'un jour, dans sa chambre d'hôpital, il a vu débarquer Barbara. Elle venait là en toute discrétion pour soutenir les malades. »

Clews Vellay n'est pas le seul à avoir reçu la visite surprise de la chanteuse : durant plusieurs années, Barbara s'est rendue régulièrement dans deux ou trois hôpitaux parisiens afin d'y rencontrer ces « sidamnés » qu'elle chantait sur scène. Faut-il s'en étonner ? « Je l'ai dit dans mes chansons : il faut être là quand les gens s'endorment, pour les accompagner » (1) - rengaine de toute une vie. Elle disait aussi : « Dans les hôpitaux, j'ai vu des malades solitaires qui appréhendaient de prévenir leurs familles [...) J'ai vu des hommes et des femmes mourir en colère [...) Je les ai vus partir, et je ne pourrai jamais les oublier. » (2) Que leur racontait-elle ? Cela leur appartient. Ce que l'on sait, c'est qu'elle se tenait toujours auprès des plus seuls et des plus rejetés. Et qu'elle n'hésitait pas à leur donner un numéro de téléphone, à Précy, pour qu'ils puissent l'appeler s'ils en avaient envie, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.

« J'ai toujours essayé de parler d'amour : il m'a paru évident de parler du sida qui, quelque part, est un grand mal d'amour. » (3)

(1) Figaroscope, 7 février 1990.

(2) L'Express, 4 novembre 1993.

(3) Ibid.

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