LA DAME BRUNE

Paroles Barbara et Georges Moustaki
Musique Georges Moustaki
Interprètes Barbara et Georges Moustaki
Année 1967

Le premier des rares duos de Barbara, où elle retrouve Moustaki (cf. Vous entendrez parler de lui), est un des deux titres qui complètent les sept inédits de Barbara / Bobino 1967 sur l'album studio Ma plus belle histoire d'amour. Chanson rêveuse ("Pierrot m'avait prêté sa plume / Ce matin-là / A ma guitare de fortune / J'ai pris le la") et sans piano (comme Ma plus belle histoire d'amour), elle a fixé définitivement l'image de la chanteuse en "longue dame brune".

BARBARA ET SON PHYSIQUE
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)

Arrêt sur images.

En 1944, Monique est une belle adolescente à la silhouette de jeune femme. Tous ceux qui l'ont connue alors parlent de son allure, déjà grande et droite ; de ses cheveux châtains mi-longs et de ses beaux yeux noirs. Elle fait quelques centimètres de plus que les autres, porte des couleurs claires, les robes de sa mère. Elle est élégante et raffinée.

Trois ans plus tard, à dix-sept ans, c'est à peu près la même jeune femme qu'un photographe de Saint-Marcellin fixe sur la pellicule. Toujours plus grande que la moyenne, plutôt mince et féminine.

En 1950-1951, autre image : Barbara a grossi, elle a des cheveux longs ondulés, arbore des couleurs sombres, souvent du noir. A la manière d'une bohémienne, elle s'enveloppe dans de grands châles qui cachent mal sa corpulence. Met de longues boucles à ses oreilles. Séduisante toujours, mais étrange, hors normes, un peu inquiétante, même.

Regard d'elle sur elle-même : « Quand je suis petite, je suis déjà longue et maigre. puis, à dix ans, rondelette ; à vingt ans, grosse d'avoir traversé tant d'avanies, comme pour me matelasser et me protéger contre celles encore à venir. » Quand commence-t-elle à grossir ? Vraisemblablement aux alentours de 1949, l'année du départ de son père. « Le chagrin ne nourrit pas, mais fait grossir. »

A entendre ses amis, elle maigrit à nouveau à partir de 1953. Elle chante à Bruxelles, puis sur la rive gauche, à Paris. Elle prend peu à peu possession de sa vie et de son corps. « C'est la scène qui m'apprend que j'ai un corps que je vais devoir écouter et regarder. Lentement, je reprends forme. »

Barbara renaît à elle-même. Le processus est long, il passe d'abord par la voix qui lui permet de reprendre souffle ; puis par la musique qu'elle apprend à maîtriser ; enfin par les mots qu'elle expulse presque malgré elle. Le tout sous les yeux d'un public rassurant. La longue route. Sophie Makhno : « L'énorme transformation, c'est à partir du jour où elle a pu s'exprimer par elle-même, et non plus raconter des choses écrites par d'autres. Elle s'est affirmée. Et, à mesure qu'elle s'est affirmée psychologiquement, elle s'est sculptée physiquement. »

Barbara s'affine. Elle coupe ses cheveux. Elle garde le noir. Peu à peu, elle devient celle que tout le monde connaît : une sorte d'incarnation de l'hyperféminité, créature sensuelle, fine et sophistiquée. Son allure sombre et anguleuse est aux antipodes des canons de l'époque. Barbara n'a rien d'une Bardot ou d'une Demongeot, elle est la longue dame brune de la chanson, étrange et élancée. C'est à peine si on la reconnaît sur les photos de Bruxelles. « L'amour qu'on m'a donné m'a rendu ma tendresse, mon naturel de femme. » (1)

Elle se façonne... Mais elle ne se plaît pas, au contraire ! Même transformée, Barbara déteste son physique singulier et le dit sans détours. Aux journalistes qui la découvrent alors elle assure par exemple que, dans la promiscuité de L'Ecluse, il lui est souvent arrivé d'entendre des spectateurs souffler : « Comme elle est laide... » Cherche-t-elle ainsi à évacuer le sujet ? Si tel est le cas, c'est sans résultat : dans les années 60, sa supposée laideur devient même l'un des thèmes favoris d'une presse qui adore gratter là où ça fait mal. Extrait d'une interview édifiante (2) :

« Votre physique...

- Oui, je sais, je suis laide... Vous me détestez, n'est-ce pas ?

- Si vous vous trouvez laide, pourquoi vous montrez-vous sur scène ?

- Pour m'exhiber, par provocation. »

Relation compliquée au physique et à l'image. Contrairement à ce qu'elle dit, Barbara ne monte pas sur scène par provocation, mais avec une infinie délicatesse. Presque timidement. D'ailleurs, parler d'exhibition en ce qui la concerne virerait au grotesque si l'on ne sentait dans ce mot une bonne dose de complexes et de douleurs contenues. En concert, Barbara se raconte, certes, mais ne s'exhibe pas. Il lui faudra même une bonne quinzaine d'années avant de commencer à quitter son piano ; et treize ans de plus pour tolérer sur elle des lumières dignes de ce nom. Auparavant, elle rêvait de chanter dans l'obscurité. Alors, parler d'exhibition...

(1) Rock & Folk, avril 1969.

(2) Paris-Presse, 4 novembre 1964.

Nous contacter

Veuillez entrer votre nom.
Veuillez entrer un sujet.
Veuillez entrer un message.
Veuillez vérifier le captcha pour prouver que vous n'êtes pas un robot.