MÉMOIRE, MÉMOIRE

Paroles Barbara et Luc Plamondon
Musique Barbara
Interprète Barbara
Année 1985 (inédit 1986)

Deuxième des trois chansons nouvelles interprétées par Barbara dans Lily Passion absentes de l'album studio éponyme, Mémoire, mémoire (à ne pas confondre avec Mémoire) voit le "passé soleil" venir rappeler à la chanteuse son amour du public et l'impossibilité de vivre loin de lui avec David.

LILY PASSION : UNE ALLÉGORIE ?
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)

Tout prend forme. Après trois années d'un travail assidu, son double de théâtre est presque totalement achevé. Presque. Pour l'aider, Barbara sollicite Luc Plamondon, l'auteur comblé de Starmania : collaboration fugace, pas forcément heureuse. Cette histoire-là doit sortir de sa plume à elle, et à elle seule ; Lily lui est trop proche pour qu'elle puisse la confier à qui que ce soit d'autre. Elle y ressasse ses éternelles obsessions : l'amour impossible, le réconfort du public, la mort et le pardon. « Lily Passion, c'est une chanson plus longue que les autres », résumera-t-elle plus tard lorsqu'il sera temps de présenter sa création à la presse. Elle ne peut pas mieux dire : on y retrouve tout ce qui nourrit ses chansons. Et sa vie.

A l'époque, rares sont ceux qui l'ont totalement mesuré. Bien sûr, tout le monde a vu l'évidence : Lily et Barbara se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Mais qui a saisi l'importance de l'homme qui la poursuit, le criminel au cœur tendre auquel elle se sent indéfectiblement liée ? Qui a compris ce que leur relation recelait d'intime pour la chanteuse ? Qui a perçu le sens du conte, décrypté l'allégorie de Lily ? Aujourd'hui encore, on se surprend à trouver des indices qu'on n'avait pas décelés à l'époque. Le livret de Barbara est un texte codé, pas une simple fantaisie ni une pure récréation. C'est une mise en scène et une mise en abyme de sa propre existence, une autre transformation, une autre distanciation. Une issue à ses peurs. « Résilience », dirait sûrement le psy. Peut-être la plus osée et la plus aboutie.

D'abord, ce qui saute aux yeux : Lily, c'est donc Barbara. L'une comme l'autre ont consacré leur vie à la chanson et au public. Lily va même jusqu'à chanter Ma plus belle histoire d'amour c'est vous, le manifeste de Barbara, le titre emblématique de toute une carrière, la seule chanson ancienne à trouver sa place dans la pièce. Là-dessus, donc, pas la moindre ambiguïté, les deux images se fondent et se confondent. Et les preuves sont irréfutables.

Exemples :

Lily appelle sa chienne « Gardanne » : c'est le nom de la chienne de Barbara. Lily a un imprésario, « Lucien » : c'est le prénom de Monsieur Morisse, l'ancien directeur d'Europe 1, qui fut l'un des premiers à croire en Barbara. « Il faut que je parte », se dit encore Lily, fatiguée de voir sa vie filer dans les théâtres. « Il faut que je parte », avait dit Barbara lors des adieux de 1969. « Si je n'avais pas chanté, j'aurais sans doute été prostituée », déclare Lily en répondant à des questions imaginaires : « Chanteuse, religieuse ou putain, c'est un peu la même chose », répète souvent Barbara aux journalistes interloqués. Lily avoue sa frousse chaque fois qu'elle monte sur scène : « Le jour où je n'aurai plus peur, j'arrêterai de chanter », explique Barbara.

Et ainsi de suite.

Même le décor semble réel : David, l'assassin blond, raconte qu'il a grandi dans un bordel tenu par une femme qui s'appelait Prudence et qui perdait la tête. Prudence, c'était la vieille prostituée de Bruxelles à qui Claude et Barbara avaient loué une chambre, fin 1953. Elle aussi perdait la tête. Et elle aussi cachait son argent sous les lattes de son parquet pour l'oublier aussitôt. Comme dans la pièce.

Et puis il y a ce zan que Lily Passion dit trimbaler au fond de son sac, comme un indispensable compagnon. Ce même zan que Barbara avait toujours sur elle, souvenir d'un jour de guerre où son père militaire était venu l'attendre à la porte d'une école de Poitiers. « Le zan, sous toutes ses formes, ne me quittera plus. [...] Mais cette relation de père à enfant, je ne la connaîtrai jamais plus. »

Souvenir entêtant. Regret durable. Lecture probable : et si le David de Lily Passion, c'était un peu le disparu de Nantes ?

Il tue. C'est sa voix à elle qui éveille en lui des pulsions meurtrières. Il ne peut pas s'en empêcher. Plus fort que lui. La voix l'obsède. Lily provoque le tourment. Elle le sait, elle se sent coupable.

Barbara ?

Lily ne juge pas. Elle veut comprendre. Pourquoi cet homme, qui dit l'aimer, ne peut-il s'empêcher de semer la mort ? « J'arrêterai de tuer si tu arrêtes de chanter et si tu viens vers moi », lui dit-il en substance. Lily quitte donc ses théâtres et s'avance vers lui, dans la nuit, prête à se sacrifier pour apaiser celui qui la poursuit. Elle pardonne. Dans la pièce, elle chante Je viens... mais c'est une autre chanson, vieille de près de vingt ans, qui résonne en écho : Au cœur de la nuit, la chanson trouble et troublante que Marie Chaix avait associée à Nantes et à L'aigle noir.

S'il le faut j'irai encore
Tant et tant de nuits profondes
Sans jamais revoir l'aurore
Sans jamais revoir le monde.
Pour qu'enfin tu puisses dormir
Pour qu'enfin ton cœur repose...

Lily rejoint David. Il a demandé à la voir. Entre eux se noue un jeu dangereux où la séduction, la peur et la mort avancent de pair. Un temps ils vont s'aimer. Puis vont se séparer, car leur histoire est impossible. Perdue d'avance, comme dans une autre chanson, les méconnues et grandioses Amours incestueuses : « A peine sont-elles nées / Qu'elles sont déjà condamnées / Les amours de la désespérance... » Celles de David et de Lily ?

Barbara peaufine son texte : elle décide que l'assassin blond laissera sa Lily repartir une dernière fois vers son public chéri, avant de la récupérer pour de bon dans un final somptueux et dramatique, un orage d'éclairs et de musiques. C'est l'ultime image du spectacle, la plus forte et la plus ambigüe : Lily dans les bras de David, le corps renversé. Abandonnée à l'amour. Ou bien morte. L'a-t-il tuée ?

Peut-être. Car ces deux êtres semblent de papier. En guise d'avant-propos, sa voix avait prévenu : « Nous ne nous appartenons pas. Nous ne décidons rien de notre vie. Nous sommes tous les otages de forces qui nous animent, qui nous dirigent, qui nous ordonnent... Nous devons obéir. »

Barbara croit-elle au destin ? Depuis plus de trente ans, une force irrésistible la pousse à chanter sa vie. Aujourd'hui, cette force l'incite à aller encore plus loin : incarner son propre personnage sur scène. Se recréer, renaître à elle-même. « Il ne faut pas continuer sa vie, il faut à chaque fois la recommencer. » Formidable cohérence de la femme et de l'œuvre.

Pour Barbara, Lily Passion fut un spectacle essentiel, sans doute bien plus qu'on ne saurait l'imaginer. Sa conception fut longue et réfléchie, son accouchement chaotique et douloureux.

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