IL AUTOMNE

Paroles Barbara
Musique Barbara
Interprète Barbara
Année 1978

Un titre (repris en anaphore sur de nombreux vers du texte) à la limite du barbarisme et trois variations (qui évoquent, mais dans le désordre, les trois âges de la vie) sur l'automne pour la deuxième, après La musique, et dernière chanson créée à l'Olympia en 1978.

OLYMPIA 1978
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)

La scène, c'est la plus dure et la plus douce de ses drogues. remède et poison à vie.

Charley, l'homme de l'ombre, a bien compris l'envie et bien saisi l'urgence. Courant 1977, il lui réserve l'Olympia, cadre classique pour un spectacle qui doit l'être aussi, avec ses anciennes chansons à peine retouchées, et une ou deux nouvelles. A quelques détails près, ce sera donc le même programme que celui de Bobino trois ans plus tôt. Tout le monde s'attend à un beau récital et à un joli succès -, sans imaginer vraiment davantage... Et pourtant ! Pour des raisons qui restent encore assez énigmatiques, cet Olympia-là va marquer une étape clé sur la longue route de Barbara.

Elle s'y prépare : répétitions ultra-pointilleuses, ajustements des arrangements, travail impressionniste des ambiances et des couleurs musicales. « Chéri, fais-moi une pluie mauve sur l'intro. Donne-moi un peu plus de bleu sur le refrain. » La chanteuse a retrouvé Roland Romanelli. Et, pour une fois, elle a demandé à Jacques Rouveyrollis, l'éclairagiste le plus en vogue du moment, d'envelopper son récital de quelques jolies lumières.

Ensemble, ils travaillent à Précy. C'est l'hiver.

Le soir de la première approche, le 6 février, et ce n'est pas un hasard. La traqueuse a ses dates fétiches, sur lesquelles elle s'appuie comme sur des béquilles : 6 février, 15 septembre, 6 novembre. Chaque jour a sa signification, son code secret, et elle s'arrange presque toujours pour les faire coïncider avec ses rentrées parisiennes ou ses sorties de disques (1). Cela la rassure. Le 6 février, en l'occurrence, c'est le jour où elle chanta pour la première fois en tant que vedette de L'Ecluse. Cela fait vingt ans exactement.

Aujourd'hui, Barbara n'a plus grand-chose à prouver. A quarante-huit ans, elle incarne, avec d'autres, la tradition de la belle chanson, du verbe pesé, de la mélodie ciselée, de l'interprétation soignée. Un art typiquement français, subtil et sans vacarme, à savourer tranquillement, comme on déguste un digestif. Un art prisé par des amateurs plutôt aisés, éclairés, cultivés et confortablement installés dans l'existence. Ce qui donne en général des spectacles très poétiques, mais des ambiances quelque peu empesées. C'est cela qu'elle va changer, et c'est à l'Olympia que la mutation va prendre corps.

Durant trois semaines épiques, dans le plus célèbre des music-halls français, Barbara va commencer à brouiller les vieux codes. Elle va devenir bien plus qu'une grande artiste prisée des intellectuels : une chanteuse hors normes et hors mode, applaudie par des jeunes gens qui ont trente ans de moins qu'elle et qui ne sont pas a priori censés l'écouter. A vrai dire, tout cela était déjà en germe aux Variétés, à Bobino et dans la tournée impromptue de l'incendie ; mais là, d'un coup, tout va se cristalliser : l'enthousiasme spontané de centaines de jeunes va joyeusement bousculer les us et coutumes de la chanson dite « à texte ».

Que se passe-t-il au juste ? Dès la première, la salle est surchauffée, la presse étonnée, le patron de l'Olympia sidéré - Dieu sait pourtant s'il en a vu d'autres ! Chaque soir, les rappels s'allongent : dix, vingt, trente minutes ! Sans en faire plus que d'habitude, Barbara se met à enflammer la foule. Un habitué raconte : « Personne n'a compris pourquoi, subitement, ce nouveau public l'a redécouverte. Le spectacle n'était pas vraiment nouveau, mais l'ambiance, oui : les gens ne voulaient plus la laisser partir. C'est la première fois que je voyais cela. » Le rideau baissé, les lumières rallumées et les câbles débranchés, des dizaines d'irréductibles passionnés, souvent admirateurs de fraîche date, continuent à la rappeler. « Barbara, on partira pas ! »

Le cinéaste François Reichenbach a la bonne idée de filmer le récital et la tournée qui suit ; près de trente ans plus tard, ses images restent un formidable témoignage. On y voit par exemple Barbara au piano, à la fin d'un concert, entourée de jeunes gens et ne chantant que pour eux (2). Le courant passe si fort qu'on jurerait pouvoir le toucher. Dans le film de Reichenbach, on l'entend aussi s'adresser au public :

« Je voudrais vous dire quelque chose d'abord : ce qui s'est passé là pendant trois semaines... le spectacle que vous, vous avez fait - parce que, finalement, c'est vous qui avez fait ce spectacle -, c'était tellement prodigieux, tellement extraordinaire, que personne n'en est revenu et personne n'a compris. [...] Je peux vous dire que c'était une chose exceptionnelle, que ce n'est jamais arrivé, que ni les gens du métier ni les autres ne comprennent ce qui s'est passé... Peut-être vous et moi. Peut-être vous et moi... Parce que, quand on me demande d'expliquer, je ne peux pas expliquer... Je ne peux pas parler de vous. Je veux dire que la vérité qu'il y a entre vous et moi, elle est inexplicable pour qui que ce soit. Elle est là !

« [...] Si je chante, c'est par vous, et c'est pour vous. Parce que c'est vous qui avez fait mon chemin. [...] Vous savez que ma vie, c'est vous. Et ce n'est pas un mot que je vous dis là. C'est vrai que cette plus belle histoire d'amour, c'est vous. Et ce qui s'est passé là, c'est fou. Je veux dire : vraiment... Je le porte en moi comme ça, inscrit en lettres de feu. C'est vrai. Je vous le répète parce que c'est très, très important. Et je vous remercie de vous. »

Avait-elle pressenti une telle déferlante d'amour ? Sûrement un peu. Elle qui désirait ardemment ce retour à Paris y est portée par la nouvelle génération, sans se renier ni changer, sans rien concéder, presque malgré elle, mais avec un bonheur infini. La femme en noir issue des cabarets commence enfin à décoller son étiquette rive gauche pour devenir peu à peu une chanteuse populaire. Et ce n'est qu'un début.

Elle chante son univers, en dehors du show-biz et en plein dans sa vérité. Ma plus belle histoire d'amour, Chapeau bas, Une petite cantate... Elle chante Nantes, et, selon les jours, elle en change un mot, toujours le même. Le soir de la première : « Je sais que tranquille il repose. » Le soir de la dernière : « Je veux que tranquille il repose. »

La seule chose qu'elle sache vraiment, c'est que la chanson lui est nécessaire. Et ce qu'elle ignore encore, c'est que bientôt cette ferveur de l'Olympia 1978 paraîtra bien pâle au regard de ce qui va suivre.

(1) C'est par exemple un 6 février (1958) qu'elle est intronisée « vedette » de L'Ecluse auprès de la presse, et c'est ensuite un 6 février qu'elle entame plusieurs de ses spectacles parisiens (Olympia 1978, Mogador 1990). A deux ou trois jours près, c'est aussi à cette date-là qu'elle fixe son Olympia en 1969, sa rentrée au théâtre des Variétés en 1974, son Bobino en 1975, son Palais des Congrès en 1993 et la sortie de son album Seule en 1981. C'est en revanche un 15 septembre, jour anniversaire de son premier passage en vedette à Bobino, qu'elle veut débuter sa série de concerts au Châtelet en 1987 (des contraintes matérielles l'obligent à choisir le 16). Et c'est enfin un 6 novembre, jour anniversaire de la mort de sa mère, que débute son tout dernier récital au Châtelet (1993) et que sort son ultime album (1996), comme un deuil éternel qu'elle n'aurait jamais fini de recommencer.

(2) Il s'agit d'un concert de la tournée suivant l'Olympia, à Saint-Denis, au Théâtre Gérard-Philipe.

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