LES INSOMNIES
Paroles | Barbara | |
Musique | Barbara | |
Interprète | Barbara | |
Année | 1975 (inédit 1978) |
Troisième chanson créée à Bobino en mars 1975 et publiée en 1978 sur l'album Barbara / Enregistrement public à l'Olympia : quarante-quatre vers très longs (les plus courts sont des alexandrins) et dont trente-huit se terminent par une rime en "i", des vers regroupés en dix quatrains répartis de façon symétrique autour d'un distique (une construction qui rappelle celle du Minotaure) et un piano-accordéon-voix où Barbara évoque avec beaucoup d'humour et une légèreté libertine ("A force de compter les moutons qui sautent dans mon lit, / J'ai un immense troupeau qui se promène dans mes nuits / Qu'ils aillent brouter ailleurs, par exemple dans vos prairies / Labourage et pâturage ne sont pas mes travaux de nuits") ses insomnies récurrentes ("Le paradis, ce serait pour moi de m'endormir la nuit"), un sujet déjà parfois abordé, par exemple dans Le mal de vivre et La solitude, mais qui retentit ici des échos de ce qui ressemble beaucoup à une tentative de suicide l'année précédente.
ACCIDENT OU TENTATIVE DE SUICIDE ?
(Barbara Portrait en clair obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)
Printemps 1974 : Barbara sillonne la France et la Belgique. Partout elle remplit les salles. Tonnerres d'applaudissements à Bordeaux et à Bruxelles.
Le 8 juin, elle doit partir chanter en Israël.
La semaine précédant son départ, elle est à Précy : un peu de vacances entre deux concerts, apparemment tout va bien. Il fait beau, Barbara se repose dans son jardin ou se promène dans la campagne ; les voisins assurent la voir passer de temps en temps à bicyclette, souveraine et détendue. Le 3 juin au soir, elle accepte l'invitation à dîner de sa jeune femme de ménage, à quelques pas de sa maison. C'est une soirée d'anniversaire, il y a du champagne et des rires. Tout va toujours très bien. Puis elle rentre chez elle, peu avant minuit. Elle ne semble pas soucieuse, mais elle est épuisée.
Au petit matin, entre cinq et six heures, l'un de ses proches tente de la joindre au téléphone. C'est occupé.
Il recompose le numéro deux, trois, quatre fois. La sonnerie reste obstinément la même. Occupé.
A cette heure-là, ce n'est pas normal. L'ami s'inquiète, il y a de quoi. Il alerte les PTT, la ligne n'est pas en dérangement. Il appelle les gendarmes, il appelle les pompiers.
Lorsqu'ils pénètrent dans la grande maison de Précy-sur-Marne, il n'y a pas un bruit, juste les va-et-vient des chiens et des chats. Barbara ne répond pas. Ils la trouvent dans sa chambre, allongée sur son lit, totalement inconsciente. En robe de soie noire, le bras tendu vers le téléphone, le combiné décroché, et, à côté, plusieurs tubes de somnifères vides.
Le 4 juin 1974, vers sept heures du matin, Monique Serf est admise en réanimation à l'hôpital de Meaux. Le lendemain, les journaux s'interrogent : accident ou suicide ? Entretemps, la chanteuse est sortie de son semi-coma ; elle a été transférée, à sa demande, à l'Hôpital américain de Neuilly. Elle va mieux, mais elle a besoin de silence. A Meaux, le chef du service de réanimation concède quelques mots à la presse : il explique que tout ceci n'est qu'un stupide accident, que Barbara était fatiguée, qu'elle a pris des somnifères, puis qu'elle en a repris, et de nouveau repris, ne se rappelant plus ceux qu'elle avait déjà avalés. La version de la bévue n'étonne pas ses proches - ils l'ont déjà vue plusieurs fois à l'œuvre. Une autre version ne les aurait pas davantage surpris. Quant à la principale intéressée, elle restera toujours très évasive sur les circonstances exactes de cette nuit plus profonde que les autres. Elle se contentera de la chanter, plus tard, avec cette distance et cet humour qui sont devenus ses meilleurs remparts :
Mourir ou s'endormir, ce n'est pas du tout la même chose.
Pourtant, c'est pareillement se coucher les paupières closes.
Une longue nuit où je les avais tous deux confondus,
Peu s'en fallut au matin que je ne me réveille plus. (1)
(1) Les insomnies (Barbara), Editions L.E.M. , 1978.