L'INDIEN
Paroles | Barbara | |
Musique | Barbara | |
Interprète | Barbara | |
Année | 1970 (inédit 1972) |
Comme L'absinthe, L'Indien a été créée à La Tête de l'art en 1970 et publiée en 1972 dans l'album La fleur d'amour. Sur un sujet qui rappelle A chaque fois, l'inspiration musicale (un mélange de jazz et de pop), la liberté de la métrique, les phrases inachevées, les effets de voix et la durée (près de quatre minutes) rompent avec la simplicité des années soixante, une rupture que Barbara affirme d'ailleurs d'emblée : "Regarde-moi / Tu vois bien que j'ai changé".
LES FAUX ADIEUX DE BARBARA
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)
A l'Olympia, le 17 février 1969, le soir de la dernière, Barbara revient donc saluer. Jusque-là, rien à signaler. Puis elle s'approche du public et se met à parler : « Il faut que je vous dise... » Spectateurs dans la salle, musiciens sur la scène, et machinistes dans les coulisses, tout le monde l'écoute et tout le monde est sidéré. Elle n'a prévenu personne. Elle n'a rien laissé filtrer.
« Il faut que je vous dise...
« Ce soir... c'est la dernière fois que je chante à l'Olympia... à Bobino... où vous voulez... J'arrête... Je vais vous dire pourquoi, parce que je vous le dois ; parce que c'est vous qui m'avez menée là, c'est par vous et pour vous que je suis là [...] Quand je vous dis "je pars"... ça ne veut pas dire que j'arrête ce métier... ça veut dire que j'arrête le tour de chant . [...] Et après, je ne sais pas, et je m'en fous, mais, de toute façon, je ne ferai que ce que j'ai envie de faire. » (1)
Le débit est rapide, le discours confus, mais le message est clair : elle arrête. Dans la salle, des gens n'en croient pas leurs oreilles. Ailleurs non plus. « J'étais sur scène quand elle l'a annoncé, raconte Romanelli. On était tous atterrés. Quelques heures plus tard, je lui ai demandé si elle était sérieuse. Elle m'a dit : "Oui, j'en ai marre de tourner en rond, ils en ont marre de me voir. L'Olympia, c'était une consécration." Elle était tellement en osmose avec son public, dans un tel immense bonheur, qu'elle a dû se dire : "C'est trop, il faut que j'arrête." Je ne suis pas sûr qu'elle l'ait prémédité. »
Le lendemain, la presse titre sur les adieux de Barbara. Paris-Presse relaie la surprise : « Les plus sidérés, ce matin, ce sont encore les membres de son état-major, à commencer par Louis Hazan, le directeur général de Philips, sa maison de disques, Charley Marouani, son imprésario, Marie Beugras [Marie Chaix], sa secrétaire-confidente, et Bruno Coquatrix, le directeur de l'Olympia. » Quant au Figaro, il risque la question que personne n'ose.
« On lui demanda comment elle gagnerait sa vie dans deux ans.
- J'envisage de devenir trapéziste ! »
Et pan sur les doigts du journaliste...
Pourtant, le mois suivant, une Barbara plus sérieuse accorde un entretien à L'Humanité Dimanche, dans lequel elle revient longuement sur les raisons de son retrait. Rebelote en avril, cette fois dans les colonnes de Rock & Folk, qui titre en une : « Barbara dit adieu. » Ceux qui lisent avec attention l'un et l'autre journal comprennent alors qu'elle rompt moins avec le spectacle qu'avec un système, celui des « rentrées » obligatoires.
Que dit-elle ?
A Rock & Folk : « Je ne veux pas revenir, tous les ans, comme une cousine de famille qui revient faire son tour de chant, parce que cela fait quand même quinze ans que je chante et que, fatalement, il y a un moment où l'on n'en a plus tout à fait envie, et si l'on n'est plus tout à fait sincère avec soi-même, on n'est donc plus sincère avec les autres, et mon histoire d'amour avec le public était tellement merveilleuse que je n'ai pas envie de tricher. » A L'Humanité Dimanche : « On ne peut pas accomplir le métier comme tourne une mécanique. Le spectacle doit être chaque soir une fête. Il faut inventer, sinon ce n'est pas drôle. [...] Il n'est pas question que j'abandonne la scène, j'ai besoin d'une rupture pour m'aérer. »
Donc, arrêter le tour de chant. Prendre du recul. Ne plus monter sur scène que par désir, plus jamais par obligation. Il y a pas mal d'inconscience, un peu d'orgueil et beaucoup de lucidité dans sa position. Car, même si elle devenait demain un modèle de docilité, Barbara serait incapable d'enregistrer des disques à la chaîne et de monter les vendre sur une scène. Chanter Ma plus belle histoire d'amour comme on va faire ses courses ? Impensable. Là-dessus, c'est clair, elle ne ment pas : Barbara n'est pas une chanteuse, mais une femme qui chante. Et, en l'occurrence, c'est très différent. Elle le dit au public de l'Olympia : « De toute façon, je ne ferai que ce que j'ai envie de faire. »
Ne pas être un fonctionnaire de la chanson, vivre ce métier comme une aventure, prendre des risques, quitte à « se planter », car mieux vaut un échec de bonne foi qu'un succès frelaté : voilà donc ce qu'elle a dans la tête le soir de ces « adieux » qui n'en sont pas vraiment.
Songe-t-elle aussi à tous ses proches qui, pour une raison ou pour une autre, ont choisi de rompre avec leur quotidien ? Sa grand-mère, quittant la Moldavie au tournant du siècle ? Sa mère, qu'elle appelait sa « nomade » ? Son père ?
Elle seule, au fond, sait à qui et à quoi elle pense. Les journalistes, eux, se posent déjà d'autres questions : a-t-elle des projets ? Elle jure que non : aucune idée ! La seule chose dont elle soit sûre, c'est qu'elle ira où le vent et l'envie la porteront... Et de préférence là où personne ne l'attend ! Après tout, pour un gala de l'Union des artistes (2), elle a bien chanté Yesterday sur un piano miniature, accompagné par un chœur d'hommes en robe de bure... Lors d'un autre gala, elle a présenté un numéro surréaliste avec des phoques et des ballons... Dans une émission de télé, elle vient aussi de faire quelques pas de danse avec Béjart. Barbara a la bougeotte artistique. A quarante ans, elle est originale, fantasque, inattendue... Et si elle voulait changer de vie ?
(1) Rock & Folk, avril 1969.
(2) En mars 1966, au palais Garnier.