AMOUREUSE
Paroles | Remo Forlani | |
Musique | Barbara | |
Interprète | Barbara | |
Année | 1970 |
Construite, comme Je serai douce, en trois couplets dont les vers se répètent largement de l'un à l'autre, Amoureuse (à ne pas confondre avec L'amoureuse de l'album Le soleil noir) évoque, avec une fluidité musicale qui contraste avec les autres chansons de l'album Madame, la naissance ("Pour toi, soudain, le gris du ciel n'est plus si gris"), l'épanouissement ("C'est vrai qu'alors le ciel de nuit n'est plus si gris") et la fin ("Et puis, soudain, le gris du ciel redevient gris") d'un amour.
LA RÉCURRENCE DE L'AMOUR
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)
L'amour, c'est le thème le plus constant. Ou plutôt la ronde des amours, condamnés à s'éteindre mais aussi à renaître. Extrait d'une chanson parmi tant d'autres : « Ah, pouvoir encore et toujours / S'aimer et mentir d'amour / Et, bien qu'on connaisse l'histoire / Pouvoir s'émerveiller d'y croire... » (1) Tout au long de sa vie, Barbara a chanté l'amour, elle l'a magnifié, elle l'a incarné. On ne recensera pas tous ses textes qui parlent d'amour, l'inventaire serait trop long ; disons quand même qu'ils représentent près des deux tiers de l'ensemble. Le Temps du lilas, Ce matin-là, Je ne sais pas dire, Toi, Tu sais, Du bout des lèvres, A peine, L'Indien, L'Amour magicien, etc. Si ses chansons lui ressemblent, Barbara fut à n'en pas douter une très grande amoureuse. Et tout porte à croire qu'en effet ses chansons lui ressemblent presque trait pour trait.
Chez elle, l'amour est à la fois sensuel et léger, affranchi des conventions et des illusions. Libre et libéré. Souvent, ses textes se balancent avec insolence sur le fil ténu de la morale. Parfois même ils s'aventurent sur les terrains mouvants de la prostitution. Attention : dans la vie, Barbara ne s'est pas prostituée, mais elle en a souvent parlé et elle l'a plusieurs fois chanté. Elle a même développé une étonnante empathie pour ces femmes rejetées à la marge. « Chanteuse, religieuse ou putain, c'est un peu la même chose », disait-elle le plus sérieusement du monde. Logique implacable : dans son esprit, chanteuse, religieuse et putain étaient trois métiers d'amour où l'on se donne aux autres. « Tout dépend de la façon dont on le fait. Peut-être que j'aurais pu être une prostituée. Mais par amour. Non pas du sexe, mais par amour de l'amour. » (2)
Prostituée, Barbara ne le fut qu'en chanson. En 1958, elle entonne gaiement J'ai troqué, une sorte d'hymne aux joies du trottoir. Et reprend déjà depuis un moment La Complainte des filles de joie, de Brassens, qu'elle interprète à la première personne. En 1970 : Hop-là, au texte bien plus explicite encore. Puis De jolies putes vraiment, extrait d'une pièce musicale où elle interprète une tenancière de bordel. En soi, cela n'a rien d'étonnant : la chanson réaliste, dont elle est un peu - et un temps - l'héritière, a toujours adoré chanter les catins. Et Fréhel, Damia, Berthe Sylva, Lucienne Boyer, Germaine Lix, Suzy Solidor, Lys Gauty ou Piaf l'ont fait bien avant elle ! Lorsque Barbara se prend aussi à ce jeu-là, elle ne fait donc que dérouler le fil d'une très longue tradition.
Ce qui est plus surprenant, c'est ce qu'elle fait du rôle. Elle le transforme : avec elle, la prostituée ne se traîne plus, misérable, le long d'un trottoir malfamé ; elle devient fière, provocante, rieuse. Dans ses chansons, la prostitution oscille même entre un défi lancé aux bien-pensants et un joyeux sacrifice. En tout état de cause, on n'y trouve pas la moindre trace de victimisation. Jamais. Et cela, c'est nouveau.
N'allez pas croire pour autant que Barbara a passé sa carrière à camper les putains ! En tout et pour tout, on n'a guère que trois ou quatre chansons de cette veine-là, ce qui est finalement bien peu, comparé au répertoire de ses aînées d'avant-guerre. Est-ce pour autant sans importance ?
Nul ne peut répondre. Mais on ne peut s'empêcher de repenser qu'à Bruxelles, dans le commencement et le dénuement des années 50, Barbara a bien failli se prostituer. Songer aussi qu'un peu plus tard une ancienne prostituée du nom de Prudence est devenue son amie. Relire encore toutes ces interviews, à des périodes diverses de sa vie, dans lesquelles elle dit sa grande sympathie pour ces dames du trottoir. Et, sans forcément tirer de conclusions définitives, on peut s'avouer troublé devant toutes les enquêtes sociologiques qui montrent que la très grande majorité des prostituées ont été maltraitées durant leur enfance (3).
Chansons exutoires, chansons exorcismes ?
Tout cela n'est-il que hasard ?
(1) A chaque fois (Barbara), Editions Tutti, 1967.
(2) Synergie, France-Inter, 27 décembre 1996.
(3) En la matière, les exemples ne manquent pas. On peut notamment se référer aux travaux synthétiques de Richard Poulin, sociologue à l'université d'Ottawa, publiés dans la Revue Tiers Monde (Paris, PUF, n°176, octobre-décembre 2003).