DIS, QUAND REVIENDRAS-TU ?
Paroles | Barbara | |
Musique | Barbara | |
Interprète | Barbara | |
Année | 1962 |
Une lointaine parenté avec le sujet de De Shanghaï (sic) à Bangkok (cf. Vous entendrez parler de lui) et un piano-voix à la structure classique (trois couplets : des huitains en alexandrins ; trois refrains : des sizains hexasyllabiques) pour la dernière chanson du cinquième super 45 tours de Barbara, mais un contenu révolutionnaire : pour la première fois, une femme ose parler de son "mal d'amour" pour un homme absent (Hubert Balley, qui a peut-être contribué à l'écriture du texte) sans emphase ni pathos, mais sur le ton du murmure et de la confidence ("Je vais, je viens, je vire, je tourne et je me traîne / Ton image me hante, je te parle tout bas / Et j'ai le mal d'amour et j'ai le mal de toi"), ce qui ne l'empêche pas de finir sur un couplet aux accents féministes (en substance, si l'absent ne revient pas, elle ira se "réchauffer à un autre soleil"). Les jours du patriarcat triomphant, que les autres chanteuses entretenaient complaisamment, en semblent désormais comptés.
BARBARA ET HUBERT BALLEY
(Barbara Portrait en clair-obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)
Dans sa valse à mille temps, il y eut pourtant des danseurs plus gracieux que d'autres. Certains restèrent plus longtemps dans sa vie, et pour toujours dans sa mémoire.
Hubert : elle le rencontre à la fin des années 50. Il est diplomate, il vit à Abidjan, mais il adore plus que tout le monde de la chanson. Son parcours rappelle un peu ceux de Claude Sluys et de Jean Poissonnier. Si ce n'est que lui, donc, s'appelle Hubert Ballay.
« Quand je passais par Paris, je ne manquais jamais de faire le détour par L'Écluse. L'un des patrons, André Schlesser, était un copain de très longue date. Et c'est chez lui, à L'Écluse, qu'un jour de 1956 ou de 1957 j'ai entendu pour la première fois une jeune femme qui chantait Fragson. Elle n'était pas ordinaire, elle avait un charisme très particulier. Je l'ai revue deux ou trois ans plus tard, lors d'un autre séjour en France. Notre histoire a commencé en 1959. »
Belle histoire. Car, dans l'ambiance confinée de L'Écluse, Hubert et Barbara sont en effet tombés amoureux fous. Dans ces années 50 qui s'achèvent, eux sont en train de se découvrir. Et ils s'embrasent en dépit des absences. Deux amants, deux continents. Ils doivent apprendre la patience. Du début à la fin de 1960, la chanteuse et le diplomate s'écrivent, se devinent, s'attendent et se voient de temps en temps, au gré des allers-retours d'Hubert entre la France et l'Afrique. Mais si, entre eux, l'amour est grand, la distance l'est aussi. Bien trop. Et la patience se fait impatience. Comment continuer à vivre ainsi ? Barbara se languit et Hubert n'en peut plus, il la veut à Abidjan pour de bon, avec lui. Leur histoire a débuté depuis près de deux ans. Il insiste, il insiste tant qu'elle finit par céder.
Un beau jour de 1961, Barbara se décide donc à lâcher Paris et la petite scène si précieuse de L'Écluse pour s'envoler vers la Côte d'Ivoire... C'est dire si elle l'aime ! De loin, on a du mal à y croire : Barbara à Abidjan, toujours vêtue de noir, fuyant le soleil, installée dans une grande maison de diplomate avec des boys et un chauffeur... L'image, c'est vrai, a de quoi surprendre. Elle est pourtant véridique.
Mais attention : à Abidjan aussi elle veut chanter !
Là-bas, pas de rive gauche, mais un cabaret, Le Refuge, tenu par un certain Jo Attia... Pas vraiment le genre de L'Écluse ! « Attia était surnommé "le roi des non-lieux", se souvient Hubert. Un personnage incroyable, une espèce d'Arsène Lupin tatoué. Il avait été résistant, le premier parachuté de France. Un homme d'exception. Barbara a d'abord sympathisé avec sa femme, et c'est par son intermédiaire qu'elle a pu chanter au Refuge. Tout de suite, Attia l'a adorée. C'était cocasse : le soir, avant le tour de chant, il sortait son énorme flingue, le posait sur ses genoux, et il disait au public : "Barbara est une superstar. Alors je vous préviens, le premier qui ouvre sa gueule pendant qu'elle chante, je le tue !" C'était sûrement le fan le plus violent et le plus tendre qu'elle ait jamais eu ! »
Elle ? Elle adore ! Elle s'amuse. Et puis elle chante. « Mon tour de chant s'intercale entre Faiza et sa danse berbère et Minouchette la strip-teaseuse. Je m'entends très bien avec toutes ces belles jeunes femmes. » On n'en doute pas une seconde ! Et qu'il y ait eu dans la salle quelques zigotos au casier pas tout à fait vierge ne la gêne pas le moins du monde, elle qui a toujours montré un petit faible pour les marginaux.
Mais le reste, la chaleur étouffante, la vie dorée d'expatriée, les cercles diplomatiques, les dîners tralala et les ronds de jambe, ça ne colle pas. Pas pour elle. Elle repart à Paris. Revient à Abidjan. Repart de nouveau, revient encore.
Hubert ? Les mêmes va-et-vient, en sens inverse. A Paris il achète pour eux l'appartement de la rue Rémusat, un piano, un rocking-chair.
Départ.
Retour.
Départ.
Barbara demande à son amant de quitter Abidjan pour vivre auprès d'elle à Paris. « Impossible, l'Afrique c'est mon métier, ma passion. » Hubert demande à sa maîtresse de quitter L'Écluse pour vivre auprès de lui en Afrique. « Pas question, chanter c'est ma vie. »
« Mais je ne voulais pas l'empêcher de chanter, assure-t-il. Il fallait juste qu'elle choisisse où elle voulait vivre. Elle a choisi Paris. Elle n'était pas disposée à renoncer à la chanson. Pas du tout. Du tout. Et notre histoire s'est effilochée comme cela, petit à petit. Nous nous sommes quittés au moment où elle a commencé à devenir une vedette. Elle était littéralement prise par le public. Barbara était une authentique artiste, une écorchée vive, une perturbation permanente, une femme fascinante. Nous avons vécu une très belle histoire. Mais celle qu'elle entretenait avec le public était encore plus extraordinaire. »
Pour son amour d 'Abidjan, Barbara écrit l'une de ses toutes premières chansons.
Si tu ne comprends pas qu'il te faut revenir
Je ferai de nous deux mes plus beaux souvenirs
Je reprendrai ma route, le monde m'émerveille
J'irai me réchauffer à un autre soleil
Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin
Je n'ai pas la vertu des femmes de marin.
Dis, quand reviendras-tu ?
Aujourd'hui, plusieurs pages de ses mémoires sont consacrées au diplomate mélomane : « Dorénavant, je suis seule ; plus rien ne va pouvoir me détourner de ma route telle que je l'ai toujours pressentie. Rien, ni hélas personne, plus aucun homme, aucun amour. Bien sûr, des hommes et des amours. Mais c'est si différent. [...] En acceptant de perdre H..., je viens de prendre le voile, inexorablement, pour cette beauté : la vie de femme qui chante. »
C'est après cette rupture-là que Barbara, mille fois, répétera : « Je n'ai pas le talent de vivre à deux. »