PETITE SOUPE
Paroles | Jeanne Cherhal | |
Musique | Jeanne Cherhal | |
Interprète | Jeanne Cherhal | |
Année | 2006 |
L'album L'eau se termine par une chanson qui n'a rien à envier à Rondes larmes en termes de mystère avec ses deux parties bien distinctes : d'abord un texte très court en piano-voix, lui-même divisé en deux parties, la première où l'auteure est immergée dans une Petite soupe, la seconde où elle évolue "Dans l'épaisseur des foules", toutes deux se répondant de façon symétrique ("Je nage / Je nage nage nage / Au milieu du potage" aboutissant par exemple à "Je nage / Je nage nage nage / Dans l'immense village") ; puis un très long final (près de quatre minutes : un record...) où des bruits divers (chœurs, brouhaha, sifflements...) se mêlent à un ensemble instrumental complexe pour créer d'étranges sonorités.
ODYSSÉE : CHANT XII
(Homère ; VIIIè siècle avJC ; traduction Eugène Bareste ; 1842)
(...)
Alors, quoique affligé, j'adresse ces paroles à mes compagnons :
« Ô mes amis, je vais vous faire connaître les prédictions de la divine Circé ; afin que vous sachiez tous si nous périrons, ou si nous échapperons à la mort qui nous menace. Circé nous défend d'écouter les harmonieux accents des Sirènes ; elle nous ordonne de fuir leurs prairies émaillées de fleurs, et elle ne permet qu'à moi d'entendre leurs chants. Mais aussi vous devez m'attacher avec des cordes et des chaînes au pied du mât élevé pour que j'y reste immobile. Si je vous implore et si je vous commande de me délier, alors entourez-moi de nouveaux liens. »
» Tandis que j'apprenais à mes compagnons tous ces détails, nous apercevons l'île des Sirènes ; car notre navire était poussé par un vent favorable. Mais tout à coup le vent s'apaise, le calme se répand dans les airs, et les flots sont assoupis par un dieu. Les rameurs se lèvent, plient les voiles, et les déposent dans le creux navire ; puis ils s'asseyent sur les bancs et font blanchir l'onde de leurs rames polies et brillantes. Aussitôt je tire mon glaive d'airain et je divise en morceaux une grande masse de cire que je presse fortement entre mes mains ; la cire s'amollit en cédant à mes efforts et à la brillante lumière du soleil, fils d'Hypérion, puis j'introduis cette cire dans les oreilles de tous mes guerriers. Ceux-ci m'attachent les pieds et les mains au mât avec de fortes cordes ; ils s'asseyent et frappent de leurs rames la mer blanchissante. Quand, dans sa course rapide, le vaisseau n'est plus éloigné du rivage que de la portée de la voix et qu'il ne peut plus échapper aux regards des Sirènes, ces nymphes font entendre ce chant mélodieux :
« Viens, Ulysse, viens, héros fameux, toi la gloire des Achéens ; arrête ici ton navire et prête l'oreille à nos accents. Jamais aucun mortel n'a paru devant ce rivage sans avoir écouté les harmonieux concerts qui s'échappent de nos lèvres. Toujours celui qui a quitté notre plage s'en retourne charmé dans sa patrie et riche de nouvelles connaissances. Nous savons tout ce que, dans les vastes plaines d'Ilion, les Achéens et les Troyens ont souffert par la volonté des dieux. Nous savons aussi tout ce qui arrive sur la terre féconde. »
» Tel est le chant mélodieux des Sirènes, que mon cœur désirait entendre. Aussitôt fronçant les sourcils, j'ordonne à mes compagnons de me délier ; mais au lieu d'obéir ils se couchent et rament encore avec plus d'ardeur. En même temps Euryloque et Périmède se lèvent, me chargent de nouveaux liens qui me serrent davantage. Quand nous avons laissé derrière nous ces rivages et que nous n'entendons plus la voix des Sirènes, ni leurs accents mélodieux, mes compagnons enlèvent la cire qui bouche leurs oreilles et me dégagent de mes liens.
(...)